Les Piliers de la Terre
Tom hésita.
Autant être franc avec Philip : l’homme n’aimait pas les tergiversations.
« Oui, mon père. Je veux que vous me nommiez maître bâtisseur, dit-il
aussi calmement qu’il le pouvait.
— Pourquoi ? »
Tom ne
s’attendait pas à cette question-là. Il y avait tant de raisons. Quelle réponse
Philip souhaitait-il ? Le prieur aimerait sans doute l’entendre dire
quelque chose de pieux. Témérairement, il décida de dire la vérité.
« Parce que ce sera beau », dit-il.
Philip le
regarda d’un air étrange. Tom ne sut deviner s’il était en colère. « Parce
que ce sera beau », répéta Philip. Tom crut avoir dit une ânerie et voulut
se rattraper, mais l’inspiration ne vint pas. Puis il vit que le scepticisme de
Philip cachait en réalité une émotion profonde. Les mots de Tom avaient touché
son cœur. Enfin, il hocha la tête, offrant en quelque sorte son accord après
réflexion. « Oui. Faire quelque chose de beau pour Dieu, que pourrait-il y
avoir de mieux ? »
Tom resta
silencieux. Philip n’avait pas dit : oui, vous serez maître bâtisseur. Tom
attendait.
« Dans
trois jours, annonça le prieur, je vais avec l’évêque Waleran voir le roi à
Winchester. Je ne sais pas exactement quels sont les intentions de l’évêque,
mais je suis sûr qu’il demandera au roi Stephen de nous aider à payer une
nouvelle cathédrale pour Kings-bridge.
— Espérons
que le roi exaucera votre vœu, dit Tom.
— Il
nous doit une faveur, reprit Philip avec un sourire énigmatique. Il doit nous
aider.
— Et
s’il le fait ? demanda Tom.
— Je
crois que Dieu vous a envoyé à moi avec un dessein précis, Tom le bâtisseur,
dit Philip. Si le roi Stephen nous donne l’argent, vous pourrez bâtir la
cathédrale. »
Tom à son
tour était ému. Il ne savait quoi dire. On venait d’exaucer le vœu de sa vie –
mais sous condition. Tout dépendait de l’aide que Philip obtiendrait du roi. Il
hocha la tête, acceptant à la fois la promesse et le risque. « Merci, mon
père », dit-il.
La cloche
sonna pour les vêpres. Tom reprit son plateau.
« Vous
avez besoin de ça ? » demanda Philip.
Tom
comprit qu’il valait mieux le laisser ici. Ce serait pour Philip un constant
rappel. « Non, dit-il, j’ai tout cela dans la tête.
— Bon.
J’aimerais le garder. »
Tom
acquiesça et se dirigea vers la porte.
L’idée lui
vint que, s’il ne posait pas maintenant la question à propos d’Agnès, il ne le
ferait sans doute jamais. Il revint sur ses pas. « Mon père ?
— Oui ?
— Ma
première femme… elle s’appelait Agnès… est morte sans un prêtre et elle repose
dans un lieu qui n’est pas consacré. Elle n’avait pas péché, c’était simplement
les circonstances. Je me demandais… Un homme parfois bâtit une chapelle ou
fonde un monastère avec l’espoir que dans l’autre vie Dieu se rappellera sa
piété. Croyez-vous que mon projet pourrait servir à protéger l’âme
d’Agnès ? »
Philip
fronça les sourcils. « Abraham a dû sacrifier son fils unique. Dieu ne
demande plus de sacrifice de sang, car l’ultime sacrifice a été consommé. Mais
la leçon de l’histoire d’Abraham, c’est que Dieu réclame le mieux que nous
avons à lui offrir, ce qui nous est le plus précieux. Ce projet est-il le mieux
que tu puisses offrir à Dieu ?
— A
part mes enfants, oui.
— Alors
sois tranquille, Tom le bâtisseur. Dieu l’acceptera. »
II
Philip
ignorait pourquoi Waleran Bigod voulait le rencontrer dans les ruines du
château du comte Bartholomew.
Il avait
été contraint de se rendre à la ville de Shiring et d’y passer la nuit, puis de
repartir le matin pour Earlscastle. Tandis que son cheval trottait vers le
château dont la silhouette se dressait à l’horizon dans la brume matinale, il
conclut que la seule explication était que le lieu l’arrangeait. Waleran était
en déplacement, il ne passait pas plus près d’ici que de Kings-bridge et le
château était facile à trouver.
Philip
s’interrogeait sur les intentions du prélat. Il n’avait pas vu l’évêque élu
depuis le jour où celui-ci était venu inspecter les ruines de la cathédrale.
Waleran ne savait pas combien d’argent il fallait au prieur pour reconstruire
l’église et Philip ignorait ce que l’évêque comptait demander au roi. Ce
dernier ne disait rien de ses projets et Philip se sentait extrêmement nerveux.
Il avait
appris avec
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