Les Piliers de la Terre
s’ouvrit et un garçon d’une dizaine d’années en
sortit, l’air penaud. Il avait une épée à la main.
« Et
vous, qui êtes-vous ? demanda Philip.
— Je
suis la fille du comte de Shiring. Mon nom est Aliena. » La fille !
se dit Philip. J’ignorais qu’elle habitait ici. Il regarda le garçon. Il avait
une quinzaine d’années et ressemblait à la jeune fille, sauf pour le nez
retroussé et les cheveux courts. Philip leva vers lui un regard interrogateur.
« Je
suis Richard, l’héritier du comté, déclara le garçon d’une voix un peu fêlée
d’adolescent.
— Et
moi, je suis Matthew, l’intendant du château », ajouta celui qui se
trouvait derrière Philip.
Tous trois
se cachaient ici depuis que le comte Bartholomew avait été fait prisonnier.
L’intendant s’occupait des enfants : il avait sans doute de la nourriture
ou de l’argent dissimulés quelque part. Philip s’adressa à la jeune fille.
« Je sais où est votre père, mais qu’est-il advenu de votre mère ?
— Elle
est morte voilà bien des années. »
Philip
éprouva quelques remords. Les enfants étaient pratiquement orphelins, en partie
par sa faute. « Mais vous n’avez pas de famille pour s’occuper de
vous ?
— Je
veille sur le château jusqu’au retour de mon père », dit-elle. Philip se
rendit compte qu’ils vivaient dans un monde de rêves, comme si elle appartenait
encore à une riche et puissante famille. Avec son père emprisonné et en
disgrâce, elle n’était plus qu’une jeune fille ordinaire. Le garçon était
héritier de rien. Le comte Bartholomew ne reviendrait jamais au château, sinon
peut-être pour y être pendu. Il plaignait la fille, mais d’une certaine façon
il admirait aussi la force de volonté qui soutenait son rêve et le faisait
partager à deux autres personnes. Elle pourrait être reine, songea-t-il.
De dehors
parvint un bruit de sabots : plusieurs chevaux franchissaient le pont.
Aliena
demanda Philip : « Pourquoi êtes-vous venu ici ?
— Pour
un rendez-vous. » Il se retourna et fit un pas vers la porte. Matthew
était sur son chemin. Un moment, ils restèrent immobiles à se dévisager. Les
quatre personnages de la pièce étaient figés comme sur un tableau. Philip se
demanda s’ils allaient essayer de l’empêcher de partir. Puis l’intendant
s’écarta.
Philip
sortit. Relevant le pan de sa robe, il descendit en hâte l’escalier en spirale.
Arrivé en bas, il entendit des pas derrière lui. Matthew l’avait rattrapé.
« Ne
dites à personne que nous sommes ici », lança-t-il.
Ainsi
Matthew comprenait le caractère irréel de leur situation. « Combien de
temps allez-vous rester ainsi ? demanda Philip.
— Aussi
longtemps que nous pourrons, répondit l’intendant.
— Et
quand vous devrez partir ? Que ferez-vous alors ?
— Je
ne sais pas. »
Philip
hocha la tête. « Je garderai votre secret, dit-il.
— Merci,
mon père. »
Philip
traversa la salle poussiéreuse et sortit. Waleran et deux autres cavaliers
attachaient leurs chevaux près du sien. L’évêque portait un lourd manteau bordé
de fourrure noire et un bonnet assorti. Il leva la tête et Philip croisa le
regard de ses yeux pâles. « Monseigneur », dit Philip avec respect.
Il descendit les marches de bois. L’image de la jeune vierge là-haut était
encore vivace à son esprit et il aurait aimé s’en débarrasser d’un simple geste
de la tête.
Waleran
mit pied à terre. Philip constata qu’il avait les deux mêmes compagnons :
le doyen Baldwin et un homme d’armes. Il les salua de la tête, puis s’agenouilla
pour baiser la main de Waleran, qui accepta son hommage mais sans
ostentation : au bout d’un moment, il retira sa main. C’était le pouvoir
et non ses artifices que Waleran aimait. « Tout seul, Philip ?
demanda-t-il.
— Oui.
Le prieuré est pauvre, une escorte représente une dépense inutile. Quand
j’étais prieur de Saint-John-de-la-Forêt, je n’avais jamais d’escorte, et je
suis toujours en vie. »
Waleran
haussa les épaules. « Venez avec moi, dit-il. Je voudrais vous montrer
quelque chose. » Il traversa la cour jusqu’à la tour la plus proche.
Philip le suivit. Waleran passa la porte basse au pied de la tour et gravit
l’escalier intérieur. Des chauves-souris battaient des ailes sous les lattes du
plafond et Philip baissa la tête pour éviter de les frôler.
Ils débouchèrent
en haut de la tour et
Weitere Kostenlose Bücher