Les Piliers de la Terre
ajouta : « Ma femme serait enchantée de vous
donner à souper. Et j’ai un appentis bien chaud où vous pourriez dormir, si
vous préférez être seuls. »
La
présence d’une femme changeait tout. Il n’y avait aucun risque à accepter
l’hospitalité d’une famille respectable. Aliena hésitait pourtant. Puis elle
pensa à un feu dans la cheminée, à une écuelle de potage brûlant, à une coupe
de vin et à un lit de paille sous un toit. « Nous vous serions
reconnaissants, dit-elle. Nous n’avons rien à vous donner – je vous ai dit la
vérité, nous n’avons pas d’argent – mais un jour nous reviendrons et nous vous
récompenserons.
— Ça
va », dit le garde. Il éteignit le feu.
Aliena et
Richard remontèrent en selle. Le garde forestier tendit la main :
« Donnez-moi les rênes. »
Indécis,
les jeunes gens obéirent et l’homme s’enfonça dans la forêt, conduisant les
chevaux.
Sa maison
était plus éloignée qu’il ne l’avait indiqué. Ils avaient parcouru plus d’une
lieue et demie et la nuit était tombée lorsqu’ils arrivèrent à une petite
maison de bois avec un toit de chaume, au bord d’un champ. De la lumière
filtrait derrière les volets, on sentait des odeurs de cuisine et Aliena mit
pied à terre avec soulagement.
Au bruit
des chevaux, la femme du garde se montra sur le seuil.
L’homme la
renseigna : « Un jeune seigneur et une jeune dame tout seuls dans la
forêt. Donne-leur quelque chose à boire. » Il se tourna vers Aliena.
« Entrez. Je vais m’occuper des chevaux. »
Aliena
n’aimait pas beaucoup son autorité péremptoire – elle préférait commander
elle-même – mais elle n’avait pas la moindre envie de desseller son cheval.
Aussi obéit-elle. Richard la suivit dans la maison enfumée mais chaude. Il y
avait une vache attachée dans un coin. Aliena fut heureuse que l’homme eût
parlé d’un appentis : elle n’aurait jamais dormi près du bétail. Une
marmite bouillait sur le feu. Ils s’assirent sur un banc et la femme leur donna
à chacun un bol de soupe qui sentait fort le gibier. Quand le visage de Richard
parut à la lumière, elle s’écria, horrifiée : « Qu’est-ce qui vous
est arrivé ? »
Richard
ouvrait la bouche pour répondre, mais Aliena le devança. « Nous avons fait
de mauvaises rencontres, dit-elle. Nous sommes en chemin pour aller voir le
roi.
— Je
comprends », dit l’épouse du garde. C’était une petite femme à la peau
brune et au regard méfiant. Elle n’insista pas.
Aliena eut
tôt fait d’engloutir sa soupe et, pour en avoir davantage elle tendit son
écuelle. La femme se détourna. Que signifiait cela ? Ne comprenait-elle
pas le désir d’Aliena ? Ou bien n’avait-elle plus de soupe ? Aliena
s’apprêtait à la rappeler vertement à l’ordre quand le garde entra. « Je
vais vous montrer la grange où vous pourrez dormir », dit-il. Il prit une
lampe pendue à un crochet auprès de la porte. « Venez avec moi. »
Aliena et
Richard se levèrent : « Il y a encore une chose dont j’ai besoin.
Pouvez-vous me donner une vieille robe ? Je n’ai rien sous ce
manteau. »
La femme
parut ennuyée. « Je vais voir ce que je peux trouver »,
murmura-t-elle.
Aliena se
dirigea vers la sortie. Le garde lui lançait un regard bizarre, fixant son
manteau comme si, à force, il pourrait finir par voir à travers.
« Conduisez-moi ! » dit-elle sèchement. Il tourna les talons et
franchit la porte.
Ils
passèrent derrière la maison et traversèrent un potager. La lueur de la lampe
éclaira une petite construction de bois, plus une cabane qu’une grange. En
s’ouvrant, la porte heurta un tonneau d’eau de pluie. « Regardez, dit-il.
Voyez si ça vous convient. »
Richard
entra le premier. « Éclaire-moi, Aliena », dit-il. Celle-ci se tourna
pour prendre la lampe des mains du garde. Au même instant, il la poussa avec
violence. Elle trébucha sur le seuil et tomba par terre en heurtant son frère
au passage. Tous deux se retrouvèrent sur le sol, dans le noir. La porte se
referma brusquement. Ils entendirent dehors un bruit bizarre, comme si on
poussait quelque chose devant la porte.
Aliena
n’en revenait pas. « Qu’est-ce qui se passe ? » cria Richard.
Elle se
redressa. L’homme était-il vraiment honnête garde forestier ? Non, un
hors-la-loi n’a pas une telle maison. Mais alors, pourquoi les avoir
enfermés ? Avait-il enfreint une loi ? Avait-il
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