Les Piliers de la Terre
avant la
tombée de la nuit. »
Ils
suivirent le sentier jusqu’à la clairière où ils avaient rencontré le garde.
Les vestiges de leur feu étaient encore là. De là, ils trouvèrent facilement la
route de Winchester, qu’ils avaient empruntée bien souvent. Une fois sur la
route, ils avançaient plus vite. Depuis la tempête, le gel avait eu le temps de
durcir la boue.
Le visage
de Richard reprenait une apparence normale. La veille, il l’avait lavé dans
l’eau froide d’un ruisseau au milieu des bois et fait disparaître presque tout
le sang séché. Restait une vilaine croûte à la place du lobe de son oreille
droite. Il avait les lèvres encore gonflées mais le reste de son visage n’était
plus enflé.
Aliena
regrettait la chaleur du cheval sous elle. Elle avait les mains et les pieds
glacés. Le temps resta froid toute la matinée, puis vers midi la température
monta un peu. Elle commençait à avoir faim.
Chaque
fois qu’ils entendaient des chevaux ou apercevaient des silhouettes au loin,
ils plongeaient dans les bois le temps de laisser passer ces voyageurs. Ils
traversèrent en hâte des villages, sans parler à personne. Richard voulait
mendier de la nourriture, mais Aliena l’en empêcha.
Vers la
fin de l’après-midi, ils n’étaient plus très loin de leur destination et comme
personne ne les avait importunés, ils commençaient à se détendre. C’est alors
que sur une portion de route particulièrement désolée, voilà qu’un homme
soudain jaillit des buissons et se dressa devant eux.
Ils
n’eurent pas le temps de se cacher. « Ne t’arrête pas », dit Aliena à
Richard, mais l’homme leur barra le chemin. Aliena regarda derrière elle, à la
recherche d’une issue possible. Hélas ! Un autre gaillard surgit de la
forêt et leur bloqua le passage.
« Qu’est-ce
que c’est ? » grogna le premier d’une voix forte. C’était un gros
homme au visage rougeaud, au ventre gonflé, à la barbe sale et en désordre,
probablement un hors-la-loi. Il portait une lourde massue. Aliena le sentait
capable de violence, et son cœur s’emplit de crainte.
« Laissez-nous
tranquilles, dit-elle d’un ton suppliant. Nous n’avons rien qui vaille la peine
d’être volé.
— Je
ne suis pas si sûr », ricana l’homme. Il fit un pas vers Richard.
« Ça m’a l’air d’une belle épée, qui vaut bien quelques shillings.
— Elle
est à moi ! » protesta Richard de la voix d’un enfant effrayé.
Que
faire ? songea Aliena. Je suis une femme, Richard encore un jeune garçon.
On peut nous faire subir n’importe quoi.
D’un
mouvement étonnamment agile, le gros homme brandit soudain sa massue pour
frapper Richard. Celui-ci tenta d’esquiver le coup qui visait sa tête, mais qui
le toucha à l’épaule. Sous le choc, il tomba.
Soudain la
rage s’empara d’Aliena. On l’avait traitée injustement, on avait abusé d’elle,
on l’avait dépouillée, elle avait faim, froid. Son petit frère s’était fait
rosser et mutiler moins de deux jours plus tôt. Sans même réfléchir, elle tira
la dague de sa manche, fonça sur le bandit et plongea son couteau dans la panse
ainsi offerte. « Laisse-le tranquille, chien ! » hurla-t-elle.
Elle le
prit complètement par surprise. Jamais il n’aurait soupçonné la jeune fille
armée. La pointe du couteau traversa la laine de sa tunique, la toile de sa
camisole et buta sur la peau tendue de son ventre. Aliena éprouva une brusque
répulsion, un moment d’horreur à l’idée de percer la peau humaine et de
pénétrer dans la chair d’un être vivant ; mais la peur renforça sa
détermination et elle enfonça le couteau dans les molles entrailles. La terreur
la prit alors de ne pas réussir à le tuer. En ce cas sa vengeance serait
terrible. Alors elle poussa plus fort, jusqu’à la garde.
L’homme
n’était plus qu’un animal terrorisé. En poussant un cri de douleur, il lâcha sa
massue et regarda le couteau planté dans son ventre. Aliena comprit en un
éclair que l’homme savait sa blessure mortelle. Elle retira la main avec
horreur. Le hors-la-loi recula en trébuchant. Subitement Aliena se souvint
qu’un autre individu la menaçait par-derrière et la panique s’empara d’elle.
Elle referma sa main sur la poignée du couteau et, quand elle tira de toutes
ses forces, elle sentit la lame déchirer les entrailles du blessé. Du sang lui
jaillit sur la main et l’homme se mit à hurler comme une
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