Les Piliers de la Terre
bête en s’effondrant.
Aliena pivota sur elle-même, brandissant son couteau d’une main ensanglantée,
et fit face à l’autre bandit. En même temps, Richard se remettait sur ses pieds
et dégainait son épée.
Le regard
effaré de l’homme passa de l’un à l’autre, s’arrêta une seconde sur son ami
mourant et, sans demander son reste, il tourna les talons et s’enfuit d’un bond
dans les bois.
Aliena
reprit son souffle, ayant peine à croire qu’ils avaient gagné.
Le blessé
gisait sur le dos. Ses entrailles apparaissaient par la plaie de son ventre. Il
avait les yeux grands ouverts, le visage crispé de douleur et de peur.
Richard ne
retenait pas sa joie. « Tu l’as poignardé, Aliena, criait-il, tu les as
eus ! »
Sa sœur le
regarda. Il avait besoin d’une leçon. « Tue celui-ci », dit-elle.
Richard la
dévisagea. « Quoi ?
— Tue-le,
répéta-t-elle. Abrège ses souffrances, achève-le !
— Pourquoi
moi ? »
Elle
durcit volontairement sa voix. « Parce que tu te conduis en petit garçon
et que j’ai besoin d’un homme. Parce que tu n’as jamais rien fait avec une épée
que de jouer à la guerre. Il faut bien commencer. De quoi as-tu peur ? Cet
homme est en train de mourir. Il ne te fera pas de mal. Prends ton épée.
Force-toi : Tue-le ! »
Richard
hésitait, tenant son épée à deux mains.
« Comment ? »
L’homme se
remit à hurler.
Aliena
tapa du pied. « Je ne sais pas comment ! Coupe-lui la tête ou
enfonce-lui ton épée dans le cœur ! N’importe quoi ! Mais qu’il se
taise ! »
Richard
semblait traqué. Il souleva son épée, puis l’abaissa de nouveau.
« Si
tu ne le fais pas, dit Aliena, je vais te laisser seul, je le jure par tous les
saints. Une nuit, je me lèverai et je partirai. Quand tu te réveilleras le
matin, je ne serai plus là. Tue-le ! »
Richard
brandit de nouveau son épée. De façon tout à fait inattendue, le mourant cessa
de crier et essaya de se relever. Il roula sur un côté et se souleva sur un
coude. Richard poussa un hurlement, moitié cri de terreur, moitié cri de
guerre, et de toutes ses forces abattit son épée sur le cou de l’homme. L’arme
était lourde, la lame bien aiguisée et elle pénétra profondément dans le cou du
gros homme. Le sang jaillit comme d’une fontaine et la tête s’inclina
grotesquement d’un côté. Le corps s’effondra sur le sol.
Aliena et
Richard contemplèrent leur œuvre, abasourdis. De la buée montait du sang qui
ruisselait dans l’air froid de l’hiver. Soudain Aliena ne supporta plus le
spectacle. Elle se mit à courir, suivie de Richard.
Elle
s’arrêta quand elle fut à bout de souffle et seulement alors s’aperçut qu’elle
sanglotait. Elle continua d’un pas plus lent, sans cacher ses larmes à son
frère.
Peu à peu
elle se calma. Les sabots lui faisaient mal aux pieds.
Elle les
ôta et continua pieds nus, les sabots à la main. Winchester n’était plus bien
loin. Richard rompit le silence : « Nous sommes idiots.
— Pourquoi ?
demanda Aliena machinalement.
— Cet
homme. On l’a laissé là. Nous aurions dû prendre ses bottes. »
Aliena
s’arrêta, horrifiée. Richard eut un petit rire. « Il n’y a pas de mal à
ça, non ? » fit-il.
V
Aliena
sentit l’espoir renaître en elle lorsqu’à la tombée de la nuit elle franchit la
porte ouest qui donnait sur la grand-rue de Winchester. Elle avait cru périr
dans la forêt et retrouvait maintenant la civilisation. Bien sûr la ville
grouillait de voleurs et d’assassins mais en plein jour au moins, on était
protégé. Dans la ville, il y avait des lois, et ceux qui ne les respectaient
pas étaient bannis, mutilés ou pendus.
Un ou deux
ans plus tôt, elle s’en souvenait, elle était passée dans cette rue avec son
père. Ils étaient à cheval, naturellement : lui sur un nerveux étalon bai,
elle sur un magnifique palefroi gris. Les gens s’écartaient sur leur passage.
Huit ou dix serviteurs les avaient accueillis dans la maison qui leur
appartenait, au sud de la ville. On avait tout nettoyé, étendu de la paille
fraîche sur le sol et allumé les feux. Pendant leur séjour, Aliena avait changé
chaque jour de toilette. Elle était chargée de veiller au bien-être de chaque
visiteur, toujours bienvenu chez le comte : viande et vin pour les riches,
pain et bière pour les plus pauvres, un sourire et une place au coin du feu
pour les uns comme pour les autres. Son
Weitere Kostenlose Bücher