Les Piliers de la Terre
« Pourquoi pas ? s’enquit-elle d’un ton
plaintif.
— Ce
n’est pas possible. »
Elle se
sentit offensée. L’idée qu’on trouvât sa religion repoussante l’humiliait. Elle
se souvint avec amertume de la formule qu’elle avait employée avec
Richard : « On n’attrape pas les religions des gens comme on attrape
leurs puces, répliqua-t-elle.
— Les
gens de la ville protesteraient. »
Cet
argument ne manquait pas de bon sens. « Alors, dit-elle, je pense que nous
ferions mieux de chercher un riche chrétien.
— Essayez
toujours, fit l’orfèvre d’un ton sceptique. Laissez-moi vous parler
franchement. Un homme sage ne vous emploierait pas comme servante. Vous avez
l’habitude de donner des ordres et vous trouveriez très dur d’en
recevoir. »
Aliena
ouvrait la bouche pour protester, mais d’un geste il l’arrêta. « Oh !
Je sais que vous êtes pleine de bonne volonté. Mais d’autres vous ont servie,
et même aujourd’hui vous espérez au fond de vous-même que les choses
s’arrangeront à votre convenance. Les gens de haute naissance font de pauvres
domestiques. Ils sont indociles, pleins de ressentiment, étourdis,
susceptibles, et ils s’imaginent travailler dur même quand ils en font moins
que les autres : ils causent toujours des ennuis avec le reste du
personnel. » Il haussa les épaules. « C’est mon expérience. »
Devant la
première personne aimable qu’elle rencontrait depuis qu’elle avait quitté le
château, Aliena en oublia presque son dépit.
« Mais
que pouvons-nous faire ? reprit-elle.
— Je
peux vous dire ce que ferait un Juif. Il trouverait quelque chose à vendre.
Quand je suis arrivé dans cette ville, j’ai commencé par acheter des bijoux à
des gens qui avaient besoin d’argent, puis j’en ai fondu l’or et je l’ai
revendu aux monnayeurs.
— Mais
où avez-vous trouvé l’argent pour acheter des bijoux ?
— J’ai
emprunté à mon oncle – je lui ai d’ailleurs payés des intérêts.
— Personne
ne nous prêtera d’argent ! »
L’orfèvre
devint songeur. « Voyons, qu’aurais-je fait si je n’avais pas eu
d’oncle ? Je crois que je serais allé dans la forêt ramasser des noix,
pour les revendre aux ménagères qui n’ont pas le temps d’aller les cueillir
elles-mêmes.
— Ce
n’est pas la saison, protesta Aliena. Rien ne pousse en ce moment. L’orfèvre
sourit. « Impatiente jeunesse, dit-il. Attendez un peu.
— Très
bien. » Inutile de lui expliquer la situation de leur père. L’orfèvre
avait fait de son mieux. « Merci de votre conseil.
— Adieu
donc. » L’orfèvre repartit vers le fond de la maison, fermant derrière lui
la lourde porte barrée de fer.
Aliena et
Richard sortirent. Décidément, ils avaient passé la moitié de la journée à se
faire éconduire. Aliena se décourageait. Ne sachant où aller, ils déambulèrent
dans la Juiverie et se retrouvèrent dans la grand-rue. Aliena commençait à
avoir faim – c’était l’heure du souper – et elle devinait que Richard souffrait
aussi, sinon plus. Ils marchèrent sans but, enviant les rats bien nourris qui
grouillaient dans les ordures, jusqu’au moment où ils atteignirent l’ancien
palais royal. Là ils s’arrêtèrent, comme le faisaient tous les étrangers, pour
regarder à travers les barreaux les monnayeurs qui fabriquaient des pièces.
Aliena contempla les piles de pennies d’argent, songeant qu’elle n’en voulait
qu’un seul et qu’elle ne parvenait pas à l’obtenir.
Bientôt,
elle remarqua non loin une fille à peu près de son âge qui souriait à Richard
d’un air amical. Aliena hésita, puis lui adressa la parole. « Vous habitez
ici ?
— Oui »,
fit la fille. C’était Richard qui l’intéressait, pas Aliena. « Notre père,
balbutia Aliena, est en prison et nous essayons de trouver un moyen de nous
procurer un peu d’argent pour acheter le geôlier. Savez-vous comment nous
pourrions faire ? Nous sommes prêts à travailler dur. Nous ferons
n’importe quoi. Avez-vous une idée ? »
La fille
toisa longuement Aliena. « Je crois, dit-elle enfin. Je connais quelqu’un
qui pourrait vous aider. »
Le cœur
d’Aliena bondit de joie. Enfin elle entendait dire oui.
« Quand
pouvons-nous le voir ? demanda-t-elle aussitôt.
— La
voir.
— Comment ?
— C’est
une femme. Vous pourrez sans doute la voir tout de suite si vous venez avec
moi. »
Aliena et
Richard
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