Les Piliers de la Terre
suite.
« Regardez-moi ça, dit-il à ses hommes. Une belle fille et un futur soldat
qui viennent nous voir. » Puis son expression changea : ces nouveaux
arrivants n’étaient pas de parfaits étrangers. « Je te connais, n’est-ce
pas ?
— Oui,
oncle Simon, dit Aliena, vous me connaissez. »
Il
sursauta. « Par tous les saints ! La voix d’un fantôme ! »
Comme Aliena s’étonnait, il expliqua, en la dévisageant de près :
« Ta mère avait la même voix, du miel coulant d’une jarre. D’ailleurs, tu
es aussi belle qu’elle, par le Christ. » Il tendit la main pour lui
toucher le visage et elle s’écarta aussitôt. « Ah ! Tu es aussi raide
que ton fichu père, je vois. Je pense que c’est qui lui t’envoie ici, n’est-ce
pas ? »
Aliena se
hérissa. L’expression « ton fichu père » lui déplaisait. Mais des
protestations n’auraient fait qu’aggraver les choses. Elle se mordit donc la
langue et répondit docilement. « Oui. Il a dit que tante Edith s’occuperait
de nous.
— Eh
bien, il s’est trompé. Tante Edith est morte. Qui plus est, depuis la disgrâce
de ton père, la moitié de mes terres sont passées à cette grosse brute de Percy
Hamleigh. Les temps sont durs ici. Alors vous pouvez retourner d’où vous venez et
rentrer à Winchester. Je ne veux pas de vous. »
Bouleversée,
Aliena sentit le sol se dérober. « Nous sommes votre parenté ! »
dit-elle, malgré l’air dur de son oncle.
Il
s’adoucit imperceptiblement, mais sa réponse n’en fut pas moins ferme.
« Tu n’es pas ma parenté. Tu étais la nièce de ma première femme. Même du
vivant d’Edith, elle ne voyait jamais sa sœur, à cause de cet âne pompeux que
ta mère avait épousé.
— Nous
travaillerons, supplia Aliena. Nous sommes tous les deux prêts…
— Ne
te fatigue pas. Je ne veux pas de toi ni de ton frère. » Aliena,
scandalisée, comprit que toute discussion était aussi inutile que les prières.
Un échec de plus, qui ajoutait à son amertume. Une semaine plus tôt, devant un
tel accueil, elle aurait éclaté en sanglots. Aujourd’hui, la violence
remplaçait le chagrin ; elle avait envie de lui cracher au visage.
« Je
m’en souviendrai, dit-elle, quand Richard sera comte et que nous reprendrons le
château.
— Est-ce
que je vivrai assez vieux pour le voir ? » fit-il en riant. Pour mettre
fin à leur humiliation, Aliena prit le bras de Richard.
« Allons-nous-en.
Nous nous débrouillerons tous seuls. » L’oncle Simon était déjà retourné à
l’inspection de son cheval. Ses compagnons paraissaient un peu gênés. Aliena et
Richard s’éloignèrent.
Lorsqu’ils
furent hors de portée d’oreille, Richard ne retint plus ses gémissements.
« Que faire ? Mais que faire ? répétait-il.
— Nous
allons montrer à ces gens sans cœur que nous sommes meilleurs qu’eux »,
dit sa sœur d’un ton résolu. En réalité, elle ne se sentait aucun courage,
seulement une immense haine pour l’oncle Simon, pour le père Ralph, pour Odo le
geôlier, pour les hors-la-loi, pour le garde forestier et, par-dessus tout,
pour William Hamleigh.
« Heureusement
que nous avons un peu d’argent », dit Richard.
Ces
malheureuses pièces ne dureraient pas éternellement. « Nous ne pouvons pas
le dépenser sans réfléchir, objecta Aliena. Si nous l’utilisons pour acheter la
nourriture, nous nous retrouverons vite sans ressources. Il faut en faire
quelque chose.
— Moi,
dit Richard, je trouve que nous devrions acheter un poney. »
Elle
haussa le sourcil. Est-ce qu’il plaisantait ? « Nous n’avons pas de
position, pas de titre et pas de terre, expliqua-t-elle avec impatience. Le roi
refuse de nous aider. Nous ne pouvons pas nous faire engager comme
ouvriers : la preuve, c’est qu’à Winchester personne n’a voulu de nous.
Pourtant, il faut quand même gagner notre vie et faire de toi un chevalier.
— Je
comprends… »
Sa réponse
manquait tellement de conviction, qu’elle ne trompa pas la jeune fille, qui
insista : « Il faut trouver une occupation qui nous nourrira et nous
donnera au moins une chance de gagner assez d’argent pour t’acheter un bon
cheval.
— Tu
suggères que je m’engage comme apprenti artisan ? » Aliena secoua la
tête. « Tu dois devenir chevalier, pas charpentier. Avons-nous déjà
rencontré quelqu’un qui mène une vie indépendante sans talent spécial ?
— Oui,
s’écria aussitôt
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