Les Piliers de la Terre
l’autel. »
Aliena se
tourna vers Richard. « Garde-le pendant que je vais vérifier, dit-elle.
S’il bouge, tue-le.
— Attention,
répondit son frère, pris de panique, la maison va brûler sur nous. »
Aliena alla jusqu’au coin de la pièce et ôta le couvercle du tonneau, qu’elle
renversa. La bière se répandit sur le sol, mouillant les roseaux et éteignant
les flammes.
Aliena
sortit en courant. Elle avait vraiment failli brûler les yeux du prêtre et,
loin d’en avoir honte, se laissait griser par un sentiment de puissance. Plus
jamais on ne la traiterait en victime !
Elle se précipita
jusqu’à l’église et secoua la porte. Elle était fermée par un petit verrou.
Qu’à cela ne tienne. Elle, tira la dague qu’elle cachait dans sa manche, glissa
la lame dans l’entrebâillement de la porte. La serrure sauta, la porte s’ouvrit
toute grande et Aliena pénétra à l’intérieur de l’édifice.
C’était
une église extrêmement pauvre à peine décorée par quelques peintures
rudimentaires sur les murs blanchis à la chaux, et dont l’autel constituait le
seul mobilier. Dans un coin, la flamme d’une unique chandelle vacillait sous
une petite effigie en bois, probablement saint Michel.
Tranchant
sur le sol en terre battue, on voyait une grande dalle de pierre derrière
l’autel. La cachette manquait de discrétion mais qui aurait pris la peine de
cambrioler une église visiblement aussi pauvre ? Aliena mit un genou en
terre et poussa la pierre, qui ne bougea pas. Elle commença à s’inquiéter. On
ne pouvait pas compter sur Richard pour maintenir Ralph indéfiniment. Le prêtre
pouvait s’échapper, appeler à l’aide. Aliena eut un frisson d’angoisse en se
rendant compte qu’elle faisait partie, maintenant, du camp des hors-la-loi.
Cette
pensée lui redonna des forces. Dans un effort qui lui tira un gémissement, elle
déplaça la pierre d’un pouce ou deux. Un trou apparut, profond d’un pied
environ. Aliena s’acharna si bien qu’elle parvint à dégager un passage où elle
plongea le bras. Sa main rencontra une large ceinture de cuir qu’elle extirpa
de la cachette. « Voilà ! dit-elle tout haut. Je l’ai. » La
fierté, l’orgueil même d’avoir triomphé du prêtre malhonnête et retrouvé
l’argent de son père cédèrent vite la place à l’inquiétude : la ceinture
semblait anormalement légère. Elle l’ouvrit et se mit à compter les pièces
qu’elle entendait tomber : dix ! Dix besants valaient un livre
d’argent. Où était le reste ? Le père Ralph l’aurait-il dépensé ? La
rage l’étouffait. L’argent de son père représentait son seul bien au monde et
il fallait qu’un voleur de prêtre lui en prenne les quatre cinquièmes !
Elle bondit hors de l’église. Dans la rue, un passant la regarda comme une bête
curieuse. Sans s’en soucier, elle rejoignit la maison du prêtre.
Richard,
assis sur le corps du père Ralph, tenait la lame de son épée sur la gorge de
son prisonnier. Aliena franchit la porte en criant : « Où est le
reste ?
— Parti »,
murmura le prêtre.
Elle
s’agenouilla et approcha du visage en sueur la lame de son couteau.
« Parti comment ?
— Je
l’ai dépensé », avoua-t-il, d’une voix que la peur rendait rauque.
Aliena
aurait voulu le tailler en morceaux, mais à quoi cela mènerait-il ? Il
fallait affronter la réalité.
D’une voix
aiguë, elle cria : « Je te couperais bien une oreille si je pouvais
la vendre pour un penny ! » Le prêtre s’agita, affolé.
Inquiet,
Richard prit la parole : « Il a dépensé l’argent, on n’y peut rien.
Emportons ce qui reste et partons. »
Il avait
raison, se dit Aliena à regret. Sa colère se dissipait pour laisser place à
l’amertume. Ils ne tireraient plus rien du prêtre et, plus ils s’attardaient,
plus ils couraient le risque qu’on les surprenne. Elle remit les pièces d’or
dans la ceinture et la boucla autour de sa taille sous son manteau. Un doigt
braqué sur le prêtre, elle cracha : « Je reviendrai un jour pour te
tuer. »
Puis elle
sortit.
Richard la
rattrapa dans la rue étroite. « Tu as été merveilleuse ! dit-il, tout
excité. Tu l’as écrasé… et tu as l’argent ! »
Elle
acquiesça d’un air morne. Maintenant que sa colère était calmée, elle se
sentait abattue et malheureuse.
« On
va acheter quelque chose ? demanda-t-il.
— Juste
un peu de nourriture pour le
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