Les Piliers de la Terre
acquitter un penny. Aliena et Richard disposaient encore de quelques
pièces.
La plupart
des toisons leur avaient coûté entre un demi et trois quarts de penny chacune.
Plus six shillings pour le vieux cheval – ils avaient reçu la charrette en
cadeau. Plus leur nourriture qui leur avait pris presque tout le reste de leur
fortune. Ils étaient au bout de leurs ressources, mais, ce soir, ils auraient
gagné une livre d’argent, et un cheval, et une charrette.
Le plan
d’Aliena prévoyait de repartir acheter d’autres sacs de toisons aussi longtemps
que durerait la tonte. A la fin de l’été, elle espérait un bénéfice suffisant
pour acheter un cheval robuste et une nouvelle charrette.
Tout
excitée, Aliena menait la vieille haridelle vers la maison de Meg, fière de
démontrer qu’ils pouvaient se débrouiller seuls, son frère et elle, sans l’aide
de personne. Le roi les avait écartés, sa famille les reniait. Aliena
n’éprouvait pas le moindre besoin d’un mari. Elle se sentait indépendante.
C’était
Meg qui lui avait inspiré cette idée. Elle avait hâte de la revoir. Mais il
leur fallut longtemps pour traverser la ville encombrée, puisque c’était jour
de marché dans tout le centre. Enfin ils atteignirent la maison. Aliena entra
dans le hall. Une femme se dressa devant elle, la prenant par surprise. Elle
poussa un cri.
« Qu’est-ce
que vous voulez ? dit la femme.
— Je
suis une amie de Meg.
— Elle
n’habite plus ici, lança sèchement la femme.
— Oh. »
Aliena ne comprenait pas la rudesse de sa voix. « Où est-elle allée ?
— Elle
est partie avec son mari qui a quitté la ville en disgrâce », expliqua la
femme.
Aliena,
affreusement déçue, sentit la panique s’emparer d’elle. Comment vendrait-elle
sa laine ? A qui, en l’absence de Meg ?
« Quelle
vilaine affaire ! reprit la femme. C’était un commerçant malhonnête et, si
j’étais vous, je ne me vanterais pas de faire partie de ses amis. Allez,
sortez. »
Aliena
n’allait pas laisser calomnier son amie. « Peu m’importe ce que son mari a
pu faire. Meg était une femme remarquable, bien supérieure aux voleurs et aux prostituées
qui habitent cette ville puante », déclara-t-elle fermement avant de
sortir sans laisser à la femme le temps de répliquer.
Sa
victoire verbale ne lui donna qu’une consolation provisoire.
« Mauvaise
nouvelle, annonça-t-elle à Richard. Meg a quitté Winchester.
— La
personne qui habite là vend-elle aussi de la laine ?
— Je
n’ai pas demandé. Elle était trop désagréable. » Aliena, soudain, s’en
voulait de sa susceptibilité. « Qu’allons-nous devenir, Aliena ?
— Nous
allons vendre les toisons, dit-elle. Viens au marché. » La place du
marché, entre la grand-rue et la cathédrale, bouillonnait d’une masse de gens
qui se pressaient dans les étroites allées entre les éventaires, sans cesse
bousculés par des charrettes comme celle d’Aliena. La jeune fille s’arrêta et
grimpa sur son sac de laine pour repérer où étaient les marchands qui en
vendaient. Elle n’en aperçut qu’un.
Avec une
corde, l’homme avait délimité un grand espace au fond duquel se dressait une
cabane, faite d’un léger cadre de bois sur lequel s’appuyaient des claies
bouchées par des brindilles et des roseaux tressés. Il s’agissait de toute
évidence d’une construction provisoire aménagée chaque jour de marché. Le
marchand était un homme au visage boucané, amputé du bras gauche à la hauteur
du coude. Au moignon, était fixé un peigne de bois dont il se servait pour
corder quelques brins des toisons qu’on lui proposait, tandis que de sa main
droite, il en tâtait l’épaisseur, avant de proposer son prix. Pour les achats
importants, valant de grosses sommes, il pesait les pièces de monnaie dans une
balance.
Aliena se
fraya un chemin à travers la foule jusqu’à l’éventaire. Un paysan proposait au
marchand trois toisons plutôt minces attachées ensemble par une ceinture de
cuir. « Pas bien fournies, remarqua l’acheteur. Trois farthings
pièce. » Trois farthings, soit trois quarts de penny, c’était plutôt
maigre mais le vendeur accepta l’offre. Le négociant lui tendit deux pièces et
d’un geste vif et sûr coupa avec une hachette un troisième penny en quarts ;
il donna un des quarts au paysan tout en recomptant l’addition. « Trois
fois trois farthings font deux pence et un farthing. » Le
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