Les Piliers de la Terre
monde est emmitouflé.
— Dites-moi
juste depuis combien de temps il vous a quitté.
— A
l’instant.
— Et
où allait-il ?
— A
mon avis, dans une taverne.
— Pour
dépenser mon argent, dit Tom, écœuré. Bon, passez votre chemin. On vous volera
peut-être un jour et vous regretterez alors que tant de gens soient prêts à
conclure un marché sans poser de questions. »
Le
boucher, l’air rageur, hésita comme s’il voulait répliquer ; puis il se
ravisa et disparut. « Pourquoi l’as-tu laissé partir ? fit Agnès.
— Parce
qu’il est connu ici et moi pas, dit Tom. Si je me bats avec lui, je serai dans
mon tort. Comme le cochon n’a pas mon nom écrit sur son cul, qui va dire si
c’est le mien ou non ?
— Mais
toutes nos économies…
— Nous
pouvons encore remettre la main sur l’argent du cochon, dit Tom. Tais-toi et
laisse-moi réfléchir. »
L’altercation
avec le boucher l’avait mis en colère et c’est Agnès qui en faisait les frais.
« Quelque part dans cette ville il y a un homme qui n’a plus de lèvres et
cinquante pennies d’argent dans sa poche. Il suffit de le trouver et de lui
reprendre l’argent.
— Très
bien, dit Agnès avec détermination.
— Tu
vas retourner d’où nous venons. Va jusqu’à l’enceinte de la cathédrale. Moi, je
passerai de l’autre côté. Puis nous reprendrons la rue suivante et ainsi de
suite. S’il n’est pas dehors, il est dans une taverne. Si tu le vois, reste
auprès de lui et envoie Martha me chercher. Je vais prendre Alfred avec moi.
Tâche que le hors-la-loi ne te voie pas.
— Ne
t’inquiète pas, dit Agnès. Je veux cet argent pour nourrir mes enfants. »
Tom lui
toucha le bras et sourit : « Tu es une lionne, Agnès. » Elle le
regarda un moment dans les yeux, puis soudain se dressa sur la pointe des pieds
et lui planta sur la bouche un baiser bref et violent. Ensuite, elle s’en fût.
Martha sur ses talons. Tom la regarda disparaître, inquiet pour elle malgré son
courage ; à son tour, il s’éloigna dans la direction opposée avec Alfred.
Tom
marchait à pas lents dans la rue boueuse, essayant de prendre un air nonchalant
tout en jetant un coup d’œil à toutes les portes ouvertes. Il tenait à ne pas
se faire remarquer, car cet épisode pouvait se terminer dans la violence et il
ne voulait pas que les gens gardent le souvenir d’un grand maçon arpentant la
ville. La plupart des maisons étaient des taudis ordinaires, de bois, de boue
et de chaume, avec de la paille sur le sol, un foyer au milieu et quelques
meubles rudimentaires. Un tonneau et des bancs faisaient une taverne ; un
lit dans un coin, masqué par un rideau, annonçait la présence d’une prostituée ;
une foule bruyante autour d’une table signalait une partie de dés.
Une femme
aux lèvres peintes en rouge lui dévoila ses seins, mais il secoua la tête et
hâta le pas. Il était secrètement curieux de faire l’amour à une parfaite
inconnue, en plein jour, et de payer pour cela, mais de toute sa vie il n’avait
jamais essayé.
Il repensa
à Ellen, la hors-la-loi. Il y avait quelque chose d’intrigant chez elle. Elle
était extrêmement séduisante, mais son regard intense l’intimidait. Il eut
soudain la brusque et folle envie de retourner dans la forêt pour la retrouver
et l’étreindre.
Il parvint
à l’enceinte de la cathédrale sans avoir vu le voleur. Il observa les plombiers
qui clouaient le plomb au toit triangulaire au-dessus de la nef. Ils n’avaient
toujours pas commencé la couverture des appentis sur les bas-côtés de l’église
et l’on pouvait encore distinguer les demi-arcs de soutien qui reliaient le
bord extérieur du bas-côté au mur principal de la nef, en soutenant la partie
supérieure de l’église. Il les montra à Alfred. « Sans ces soutiens, le
mur de la nef s’inclinerait vers l’extérieur et s’effondrerait sous la pression
des voûtes de pierre », expliqua-t-il. Alfred n’eut pas l’air de
comprendre. Tom soupira.
Il aperçut
Agnès qui arrivait du côté opposé et son esprit revint à ses problèmes
immédiats. Le capuchon de sa femme dissimulait son visage, mais il la reconnut
à son pas assuré. Des manœuvres aux larges épaules s’écartaient pour la laisser
passer. Si elle tombait sur le hors-la-loi et s’il y avait bataille, se dit-il,
ce serait un combat assez équilibré.
« Tu
l’as vu ? demanda-t-elle.
— Non.
De toute évidence, toi non
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