Les Piliers de la Terre
se mit au
travail avec énergie. Malgré la présence de cinquante personnes sur le
chantier, le résultat n’était pas très spectaculaire.
Aliena,
quoique musclée, plus mince et plus solide à force d’arpenter les routes et de
soulever de lourds ballots de laine brute, s’apercevait que creuser lui faisait
quand même bien mal au dos. Elle poussa un soupir de soulagement quand le
prieur Philip agita une clochette pour annoncer une pause. Des moines
apportèrent du pain frais de la cuisine et servirent de la petite bière. Le
soleil chauffait, maintenant, et certains des hommes se mirent torse nu.
Au cours
de ce repos, un groupe d’étrangers apparut à la porte. Aliena les regarda avec
espoir. Ils n’étaient qu’une poignée, mais peut-être annonçaient-ils une grande
foule. Ils s’approchèrent de la table où l’on distribuait le pain et la bière
et le prieur Philip les accueillit. « D’où venez-vous ? »
demanda-t-il tandis qu’ils engloutissaient avec gratitude une chope de bière.
« De
Horsted », répondit l’un d’eux, s’essuyant la bouche sur sa manche. Bonne
nouvelle : Horsted était un village de deux ou trois cents habitants, à
quelques lieues de Kings-bridge. Avec un peu de chance, on pouvait compter sur
une centaine d’autres volontaires.
« Combien
serez-vous ? » demanda Philip.
L’homme
parut surpris de la question. « Il n’y a que nous quatre »,
répondit-il.
Durant
l’heure suivante, les volontaires se succédèrent par petits groupes si bien que
vers le milieu de la matinée soixante-dix ou quatre-vingts travailleurs
s’activaient, y compris les villageois. Puis on ne vit plus personne pendant
longtemps.
Ce n’était
pas assez.
Philip
regardait Tom construire son mur. Quand un ouvrier lui apportait une pierre, il
commençait par en vérifier la rectitude grâce à un instrument de fer en forme
de L. Il étalait alors une couche de mortier sur le mur avec la pointe de sa
truelle, posait dessus la nouvelle pierre et grattait le surplus de mortier.
Pour bien placer la pierre, il se guidait avec un fil tendu entre les deux
contreforts qu’il avait déjà édifiés. Philip remarqua que la pierre était presque
aussi lisse sur le dessus et le dessous que sur la face qui se verrait. Il en
demanda la raison à Tom. « Une pierre ne doit jamais en toucher une autre,
répondit le maçon. C’est à cela que sert le mortier.
— Pourquoi
ne doivent-elles jamais se toucher ?
— Pour
éviter les fissures », dit Tom en se redressant. Si vous marchez sur un
toit d’ardoises, votre pied va passer à travers, mais si vous posez une planche
en travers du toit, vous pouvez marcher sans endommager les ardoises. La
planche répartit le poids. C’est ce que fait le mortier. »
Philip
découvrait les mystères de ce métier passionnant, d’autant que Tom était
capable d’en expliquer avec précision tous les détails.
La partie
la plus rugueuse de la pierre faisait face à l’intérieur de l’église. Philip se
rappela que Tom comptait bâtir un mur à double paroi, avec une cavité entre les
deux, si bien que le dos des pierres serait caché.
Quand le
maçon avait posé la première pierre sur son lit de mortier, il prenait son
niveau : c’était un triangle de fer attaché au sommet par une courroie de
cuir et portant des marques à la base. Au bout de la courroie était fixé un
plomb, si bien qu’elle pendait toujours droit. Il posait la base de
l’instrument sur la pierre et observait comment pendait la courroie de cuir. Si
elle penchait d’un côté ou de l’autre de la ligne centrale, il tapait sur la
pierre avec son marteau jusqu’à la mettre exactement de niveau. Il déplaçait
alors l’instrument pour lui faire chevaucher le joint entre les deux pierres
voisines et s’assurer que la partie supérieure restait bien dans l’alignement.
Enfin, il tournait l’instrument de côté pour s’assurer que le bloc ne penchait
ni d’un côté ni de l’autre. Philip n’avait jamais imaginé le temps qu’il
fallait pour placer convenablement une seule pierre.
Son regard
parcourut l’ensemble du chantier. Il était si étendu que quatre-vingts
personnes s’y perdraient. Si actifs que fussent les volontaires, leurs efforts
semblaient futiles dans ce vaste espace. Philip constatait que la centaine
d’hommes qu’il avait espérée n’aurait même pas suffi.
A cet
instant, un nouveau petit groupe franchit la porte et Philip se força
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