Les Piliers de la Terre
à aller
les accueillir avec un sourire. Inutile de leur annoncer que leurs efforts
seraient vains. De toute façon, ils obtiendraient le pardon de leurs péchés.
Ils
étaient douze, bientôt suivis de deux autres. Peut-être après tout
atteindrait-on la centaine vers midi, à l’arrivée de l’évêque, pensa le prieur.
« Dieu
vous bénisse tous », leur dit-il. Il allait leur expliquer où commencer à
creuser lorsqu’il fut interrompu par un appel. « Philip ! »
Il fronça
les sourcils. Il avait reconnu la voix de frère Milius, mais même Milius
appelait Philip « père » en public. Il regarda dans la direction d’où
venait la voix. Milius se balançait sur le mur du prieuré dans une attitude
assez peu digne d’un moine. D’une voix calme mais qui portait bien, Philip
ordonna : « Frère Milius, descendez. » A son étonnement, Milius
resta à sa place et cria : « Venez voir ça ! »
Les
nouveaux arrivants allaient avoir piètre opinion de l’obéissance monastique,
songea Philip, mais il était curieux de savoir ce qui avait à ce point excité
Milius qu’il en avait oublié ses manières. « Venez m’expliquer cela,
Milius, dit-il d’un ton qu’il réservait d’ordinaire aux novices bruyants.
— Il
faut que vous voyiez vous-même ! » cria Milius.
Agacé,
mais ne voulant pas réprimander son plus proche collègue devant des étrangers,
il se résigna à sourire et à faire ce que demandait Milius. Il traversa le
terrain boueux, passa devant l’écurie et sauta sur le petit mur. « A quoi
rime cette attitude ? siffla-t-il.
— Regardez
ça ! » dit Milius en tendant le doigt.
Suivant
son geste, Philip porta les yeux au-dessus des toits du village, au-delà de la
rivière, jusqu’à la route. Tout d’abord, il n’y crut pas. Entre les champs
verdoyants, la route n’était qu’une masse solide de gens, par centaines, qui se
dirigeaient vers Kings-bridge. « Qu’est-ce que c’est ? fit-il sans
comprendre. Une armée ? » Puis il se rendit compte que, bien sûr,
c’étaient des volontaires. Son cœur sauta de joie. « Regardez-les !
cria-t-il Ils sont cinq cents… mille… plus !
— Mais
oui ! dit Milius exultant de joie. Ils sont venus !
— Nous
sommes sauvés ! »
Philip
avait oublié sa colère contre Milius. Il n’avait d’yeux que pour la masse qui
emplissait la route jusqu’au pont et dont les rangs se déroulaient à travers le
village jusqu’à la porte du prieuré Ils commençaient d’ailleurs à se déverser
sur le chantier, attendant les ordres. « Alléluia ! » cria
Philip.
Il ne
suffisait pas de se réjouir : il fallait guider ces gens. Il sauta à bas
du mur. « Venez ! cria-t-il à Milius. Rappelez tous les moines
chargés de gros travaux : nous allons avoir besoin d’eux comme
contremaîtres. Dites au cuisinier de cuire tout le pain qu’il peut et de rouler
quelques tonneaux de bière de plus. Il va nous falloir davantage de seaux et de
pelles. Nous devons occuper tout le monde avant l’arrivée de l’évêque
Henry ! »
Pendant
l’heure suivante, Philip déploya une activité frénétique D’abord, pour dégager
le terrain, il affecta une bonne centaine de volontaires à l’acheminement des
matériaux encore en attente au bord de la rivière. Dès que Milius eut rassemblé
un groupe de moines pour les encadrer, il commença à en envoyer bon nombre vers
les fondations. Ils se trouvèrent bientôt à court de pelles, de barils et de
seaux. Philip ordonna qu’on apportât de la cuisine toutes les marmites et il
chargea quelques hommes de confectionner des caisses et des paniers
rudimentaires pour transporter la terre. Devant le manque d’échelles et
d’appareils de levage, ils aménagèrent une longue rampe à une extrémité de la
plus grande fosse.
Philip se
rendit compte qu’il avait oublié un point important ; où déverser l’énorme
quantité de terre qui provenait des fondations ? Il fallait improviser. Le
prieur décida qu’on déverserait la terre sur un terrain rocheux proche de la
rivière. Peut-être deviendrait-il cultivable un jour ?
Bernard
l’interrompit, affolé, pour annoncer qu’il n’avait nourri que deux cents
personnes au plus alors qu’il y en avait sûrement au moins mille. « Faites
un feu dans la cour de la cuisine et préparez de la soupe dans une cuve, dit
Philip. Coupez la bière d’eau. Utilisez toutes les réserves. Demandez à
quelques villageois de
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