Les Piliers de la Terre
Wallingford et Windsor. Partout la réponse était la même : non, il
n’y a pas de travail pour vous ici.
Chaque
fois qu’ils le pouvaient, ils profitaient de l’hospitalité des monastères où
les voyageurs pouvaient toujours trouver un repas et un endroit où dormir –
mais uniquement pour une nuit. Dans la forêt, Agnès allumait du feu sous la
marmite et faisait cuire du porridge. Mais, la plupart du temps, ils étaient
obligés d’acheter du pain au boulanger, des harengs marines au poissonnier ou
de manger dans les tavernes et les rôtisseries, ce qui coûtait plus cher que de
préparer leur nourriture ; et leur argent s’épuisait inexorablement.
Martha,
naturellement maigre, devint décharnée. Alfred grandissait encore, de plus en
plus efflanqué. Agnès mangeait peu, et le bébé qu’elle portait absorbait tout.
Tom obligeait parfois sa femme à se nourrir davantage et, malgré elle, elle cédait
à l’autorité combinée de son mari et de son enfant à naître. Pourtant, elle
n’avait rien de rosé et rebondi comme lors de ses précédentes grossesses.
Depuis
leur départ de Salisbury, ils avaient parcouru les trois quarts d’un grand
cercle et, à la fin de l’année, ils furent de retour dans la vaste forêt qui
s’étendait de Windsor à Southampton. Ils se dirigeaient vers Winchester. Tom
avait vendu ses outils de maçon, mais de cet argent il ne leur restait que
quelques pennies : dès qu’il trouverait du travail, il lui faudrait
emprunter des outils ou de l’argent pour en acheter. S’il n’en trouvait pas à
Winchester, il ne savait pas ce qu’il allait faire. Il avait des frères, là-bas
dans sa ville natale ; mais c’était dans le Nord, un voyage de plusieurs
semaines, et la famille mourrait de faim avant d’y arriver. Agnès était fille
unique et ses parents étaient morts. Il n’y avait pas de travaux des champs en
plein hiver. Peut-être Agnès pourrait-elle gagner quelques pennies comme
servante dans une riche maison de Winchester. Mais assurément elle ne pouvait
arpenter les routes plus longtemps, car son temps approchait.
Winchester
était encore à trois jours de marche. Ils n’avaient rencontré aucun monastère
et Agnès n’avait plus d’avoine dans la marmite qu’elle portait sur son dos. La
veille au soir ils avaient échangé un couteau contre un pain noir, quatre
écuelles de bouillon sans viande et un endroit pour dormir auprès du feu dans
la masure d’un paysan. Depuis lors ils n’avaient pas vu de village. Vers la fin
de l’après-midi, Tom aperçut de la fumée au-dessus des arbres et ils trouvèrent
la maison d’un garde forestier solitaire, un de ceux qui assuraient la police
du roi dans les forêts. En échange de la hachette de Tom, il leur donna un sac
de navets.
Ils n’avaient
fait qu’un peu plus d’une lieue quand Agnès déclara qu’elle était trop épuisée
pour continuer. Tom fut surpris. Durant toutes les années qu’ils avaient
passées ensemble, il ne l’avait jamais entendue se plaindre d’être trop
fatiguée.
Elle
s’assit à l’ombre d’un grand châtaignier au bord de la route. Tom creusa un
trou pour allumer du feu en utilisant une vieille pelle en bois, un des rares
outils qu’il leur restait, car personne ne voulait l’acheter. Les enfants
rassemblèrent des brindilles et Tom alluma le feu, puis il prit la marmite pour
aller chercher un ruisseau. Il revint avec le récipient débordant d’eau glacée
et le posa au bord du feu. Agnès coupa quelques navets en tranches. Martha
ramassa les marrons d’Inde tombés de l’arbre et Agnès lui montra comment les
peler et en broyer l’intérieur pour faire une farine qui épaissirait la soupe
de navets. Tom envoya Alfred chercher d’autre bois, puis lui-même prit un bâton
et se mit à fouiller les feuilles mortes sur le sol de la forêt dans l’espoir
de trouver un hérisson ou un écureuil en train d’hiberner pour mettre dans le
bouillon. Mais il ne trouva rien.
Il vint
s’asseoir auprès d’Agnès tandis que la nuit tombait et que la soupe cuisait.
« Nous reste-t-il du sel ? » demanda-t-il.
Elle
secoua la tête. « Tu manges du porridge sans sel depuis des semaines,
répondit-elle. Tu n’as pas remarqué ?
— Non.
— La
faim est le meilleur assaisonnement.
— Eh
bien, nous n’en manquons pas. » Tom, soudain terriblement las, sentait
l’accablant fardeau des déceptions accumulées de ces quatre derniers mois et
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