Les Piliers de la Terre
suite.
Tom
s’adressa de nouveau au voleur. « Donne-moi mon argent et je te laisserai
partir. »
L’homme
jaillit du fossé, un couteau à la main, vif comme un rat, et chercha la gorge
de Tom. Agnès poussa un hurlement. Tom esquiva le coup. Le couteau lui effleura
le visage et il sentit une douleur cuisante à la mâchoire.
Il recula
et balança son marteau au moment où le couteau plongeait de nouveau. Le voleur
sauta en arrière. Couteau et marteau glissèrent dans l’air humide du soir sans
rien toucher.
Un instant
les deux hommes restèrent immobiles, face à face, le souffle court. Tom sentait
une douleur à la joue. Au fond, les forces s’équilibraient, car, si lui était
plus fort, le voleur avait un couteau, arme plus redoutable qu’un marteau de
maçon. Il sentit le froid de la peur en comprenant qu’il allait peut-être
mourir.
Du coin de
l’œil, il perçut un brusque mouvement. Le voleur le vit aussi et baissa la tête
au moment où une pierre jaillissait vers lui.
Tom réagit
avec la rapidité d’un homme qui craint pour sa vie et abattit son marteau sur
la tête penchée du voleur.
L’homme
fut touché au moment où il se relevait. Le fer du marteau lui frappa le front à
la racine des cheveux. Mais c’était un coup précipité et où Tom n’avait pas mis
toute sa force. Le voleur trébucha sans tomber.
Tom frappa
encore.
Ce coup-là
était plus dur. Tom avait eu le temps de lever le marteau au-dessus de sa tête
et de viser. Tom pensa à Martha en abattant son outil. Il frappa de toutes ses
forces et le voleur s’écroula sur le sol comme une poupée qu’on a lâchée.
Tom était
trop tendu pour éprouver le moindre soulagement. Il s’agenouilla auprès du
voleur et se mit à le fouiller. « Où est sa bourse ? Où est sa
bourse, damnation ! » Le corps inerte était difficile à bouger. Tom
finit par l’allonger sur le dos et ouvrit son manteau. Une grosse bourse de
cuir pendait à sa ceinture. A l’intérieur il y avait un petit sac de laine avec
un cordon. Tom l’ouvrit : « Vide ! s’écria-t-il. Il doit en
avoir une autre. »
Il
dépouilla l’homme de son manteau et le palpa avec soin. Pas de poche cachée,
rien de dur sous les doigts. Il lui ôta ses bottes : rien à l’intérieur.
Il prit son couteau et fendit les semelles : rien.
D’un geste
impatient, il glissa la lame de son couteau sous le col de la tunique de laine
du voleur et la lacéra du haut en bas. Pas de ceinture où cacher de l’argent.
Le voleur
gisait dans la boue, n’ayant plus pour vêtement que ses chaussettes. Les deux
paysans regardaient Tom comme s’il était fou. Furieux, il dit à Agnès :
« Il n’a pas d’argent !
— Il
a dû tout perdre aux dés, dit-elle d’un ton amer.
— J’espère
qu’il brûlera dans les flammes de l’enfer », dit Tom. Agnès s’agenouilla
et tâta la poitrine du voleur. « Il y est déjà, annonça-t-elle. Tu l’as
tué. »
Avec Noël
vint la famine.
L’hiver apparut
tôt – les pommiers portaient encore quelques fruits – aussi glacial, dur et
inexorable que le ciseau d’un tailleur de pierre. Les gens parlèrent d’un coup
de froid, croyant qu’il serait bref. Mais il ne le fut pas. Les fermiers qui
attendirent trop pour labourer brisèrent le soc de leurs charrues sur la terre
dure comme du roc. Les paysans se hâtèrent de tuer leurs porcs et de les saler
pour l’hiver, et les seigneurs abattirent leur bétail car les pâturages d’hiver
ne permettaient pas de nourrir autant de têtes qu’en été. Mais le froid sans
fin dessécha l’herbe et certaines des bêtes qui restaient moururent quand même.
Les loups désespérés faisaient irruption dans les villages au coucher du soleil
pour emporter des poulets décharnés et des enfants apeurés. Sur les chantiers
de construction, dans tout le pays, sitôt que frappa le premier froid, les murs
construits cet été-là furent précipitamment couverts de paille et de crottin
pour les isoler car le mortier n’était pas encore complètement sec. Certains
des maçons, engagés seulement pour l’été, regagnèrent leur village où ils
allaient passer l’hiver à fabriquer des socles, des selles, des harnais, des
charrettes, des pelles, des portes et tout ce qui exigeait une main habile à
manier le marteau, le ciseau et la scie. Tom et sa famille se rendirent de
Salisbury à Shaftesbury, et de là à Sherbone, Wells, Bath, Bristol, Gloucester,
Oxford,
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