Les Piliers de la Terre
bonne semaine avant
l’ouverture de la foire, et la construction de l’éventaire commandé avait
demandé quatre jours de travail, plus deux pour le rangement des marchandises.
A
l’origine Philip avait prévu de disposer les éventaires en deux grandes avenues
sur le côté ouest de l’enceinte, à peu près comme au marché hebdomadaire ;
mais il avait vite compris que ce ne serait pas suffisant. Les deux avenues
longeaient donc aussi le côté nord de l’église, puis viraient à l’est jusqu’à
la maison de Philip ; il y avait même d’autres éventaires à l’intérieur de
l’église inachevée, dans les travées entre les colonnes. Les commerçants
n’étaient pas tous des marchands de laine : on vendait de tout à cette
foire, depuis du pain de son jusqu’à des rubis.
Philip
arpenta les allées baignées de clair de lune. Tout était prêt. On
n’autoriserait plus d’autres stalles. Le prieuré avait déjà recueilli plus de
dix livres en droits et taxes. Les seules denrées nouvelles qu’on pourrait
apporter le jour de la foire étaient des produits fraîchement cuits, du pain,
des tartes chaudes et des pommes au four. Même les barils de bière avaient été
livrés la veille.
Au cours
de sa promenade, Philip fut observé par des douzaines d’yeux entrouverts et
salué par des grognements ensommeillés. Les marchands qui ne voulaient pas
laisser sans garde leurs précieuses marchandises dormaient près de leurs
éventaires ou – dans le cas des négociants plus riches – laissaient des
serviteurs sur place. Philip ne savait pas encore avec exactitude combien
d’argent la foire lui rapporterait, mais ce serait à coup sûr un succès et il
espérait dépasser sa première estimation de vingt-cinq livres. Il y avait eu
des moments, ces derniers mois, où il avait craint de devoir annuler la foire.
La guerre civile traînait en longueur, sans que Stephen ni Maud ne prennent
l’avantage, mais on n’avait toujours pas révoqué sa licence. William Hamleigh
avait bien essayé de saboter l’entreprise de diverses façons. Il avait
circonvenu le prévôt pour qu’il l’interdise, mais le shérif, après avoir
demandé des ordres à l’un ou l’autre monarque, n’avait reçu aucune réponse.
William avait interdit à ses propres métayers de vendre leur laine à Kingsbridge ;
mais la plupart traitaient déjà avec des marchands comme Aliena plutôt que
d’aller faire eux-mêmes le commerce de leurs toisons, si bien que le principal
effet de cette interdiction avait été d’apporter un supplément d’affaires à la
jeune femme. Enfin, le comte avait annoncé qu’il réduisait les loyers et les
droits de la foire à Shiring pour les ramener au niveau de ceux de
Philip ; mais cette annonce était arrivée trop tard car les grands
négociants avaient déjà fait leurs plans.
Maintenant,
alors que le ciel s’éclaircissait au matin du grand jour, William ne pouvait
faire plus. Les vendeurs étaient prêts, les acheteurs n’allaient pas tarder à
arriver. William constaterait au bout du compte, pensait Philip, que la foire
aux toisons de Kingsbridge causait moins de dommages à celle de Shiring qu’il
ne le craignait. Les ventes de laine s’accroissaient chaque année et il y avait
assez d’affaires pour animer deux foires.
Il avait
fait tout le tour de l’enceinte en passant aussi par les moulins et le vivier.
Il resta là un moment, à regarder l’eau couler devant les deux moulins
silencieux. Celui qui servait maintenant exclusivement à fouler le tissu
rapportait beaucoup d’argent et ceci grâce au jeune Jack. Il avait un esprit
ingénieux qui bénéficierait beaucoup au prieuré. Jack paraissait s’être bien
adapté à la vie de novice, même s’il avait tendance à considérer les offices
comme une corvée qui l’éloignait de la construction de la cathédrale. Mais il
s’y ferait. La vie monastique avait une influence sanctifiante. Philip croyait
que Dieu avait élu ce garçon et, tout au fond de son esprit, il nourrissait un
secret espoir : un jour Jack le remplacerait comme prieur de Kingsbridge.
Jack se
leva à l’aube et quitta sans bruit le dortoir avant l’office de prime pour
aller procéder à une dernière inspection du chantier. L’air matinal était clair
et frais, comme l’eau pure d’un torrent. Ce serait une journée chaude et
ensoleillée, bonne pour les affaires, bonne pour le prieuré.
Il suivit
les murs de la cathédrale,
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