Les Piliers de la Terre
horriblement. Il fouilla des yeux
les alentours. Il dominait la foule d’une tête et Jonathan, de son côté, était
facile à repérer avec sa robe de moine et son crâne tondu ; mais on ne le
voyait nulle part. L’enfant ne risquait pas grand-chose dans l’enceinte du
prieuré. Ce que Tom craignait, c’est qu’il tombe sur des spectacles que le
prieur Philip préférerait lui éviter : par exemple des prostituées
accommodant leurs clients contre le mur d’enceinte. Machinalement, Tom leva les
yeux vers l’échafaudage dressé sur le chantier et là, à son horreur, il aperçut
la petite silhouette en robe de moine.
Il connut
un moment de panique. Il voulut crier : Ne bouge pas, tu vas
tomber ! mais ses paroles se seraient perdues dans le brouhaha de la
foire. Écartant la foule, il courut vers la cathédrale. Jonathan gambadait le
long de l’échafaudage, occupé à quelques jeux imaginaires, inconscient du
risque qui le guettait de glisser et de tomber de quatre-vingts pieds.
L’échafaudage
reposait sur de lourds madriers insérés dans des trous du mur et qui
dépassaient d’environ six pieds. On disposait en travers de robustes poteaux
qu’on fixait par des cordes, puis on posait sur ces cadres des tréteaux de
branches flexibles et de roseaux tressés. On accédait normalement à cet
échafaudage, qui ne reposait donc pas sur le sol, par les escaliers de pierre
en spirale bâtis dans l’épaisseur des murs. Mais ces escaliers ayant été barrés
pour la journée, comment Jonathan avait-il grimpé là-haut ? Il n’y avait
pas d’échelle, non plus. Aurait-il escaladé le mur inachevé ?
Tom arriva
au pied du bâtiment, les yeux toujours fixés sur le petit garçon insouciant,
tout en haut au-dessus de lui. De toutes ses forces, il l’appela :
« Jonathan ! »
Autour de
lui, les gens, surpris, suivirent son regard et repérèrent l’enfant. Une petite
foule se rassembla.
Jonathan
chercha au-dessous de lui, aperçut Tom et agita la main.
« Descends ! » cria le maçon.
Jonathan
s’apprêta à obéir, puis, quand il aborda la descente du mur et les marches
abruptes qu’il devrait emprunter, il s’arrêta net. « Je ne peux
pas ! » cria-t-il.
Tom
n’avait plus qu’à monter lui-même le chercher. « Ne bouge pas,
j’arrive ! » cria-t-il. Écartant les blocs de bois qui barraient
l’accès des premières marches, il se mit à grimper.
Le mur
avait quatre pieds de large à la base, mais, tout en haut, il n’était plus
épais que de deux pieds, ce qui était assez large pour s’y promener à condition
d’avoir les nerfs solides. Tom n’avait pas le vertige. Il suivit le mur, sauta
sur l’échafaudage et prit Jonathan dans ses bras. « Petit idiot »,
dit-il d’une voix qui vibrait de tendresse. Jonathan se serra contre lui.
La
descente fut plus difficile car, s’il n’avait pas peur pour lui-même, la charge
de l’enfant dans ses bras multipliait le risque et Tom transpirait d’angoisse.
Il atteignit enfin le niveau de la galerie où le mur s’élargissait et il
s’arrêta pour laisser son cœur reprendre un rythme normal.
Au-delà de
l’enceinte du prieuré, Kingsbridge s’étendait à ses pieds, puis les champs, et
plus loin quelque chose apparut qui l’étonna. Un nuage de poussière s’élevait
sur la route menant à Kingsbridge, à moins d’un quart de lieue. Clignant les
yeux, Tom finit pas distinguer une importante troupe d’hommes à cheval, qui
approchaient de la ville au grand trot. Il pensa d’abord à un très riche
marchand, ou un groupe de marchands, suivis d’une importante escorte. Mais ils
n’avaient pas l’air de négociants. D’ailleurs, ils étaient vraiment trop nombreux.
Certains d’entre eux chevauchaient des destriers, la plupart étaient casqués et
tous armés jusqu’aux dents.
Le sang de
Tom ne fit qu’un tour. « Par le Christ, qui c’est, ceux-là ? dit-il
tout haut.
— Il
ne faut pas dire par le Christ », lui reprocha Jonathan.
Tom dévala
les marches. La foule applaudit lorsqu’il sauta sur le sol, mais il ne s’arrêta
pas. Où étaient Ellen et les enfants ? Il regarda autour de lui, en vain.
Jonathan avait beau se débattre dans ses bras, Tom le tenait serré. D’abord mettre
son petit garçon à l’abri. Ensuite, il s’occuperait des autres. Il fendit la
cohue pour gagner la porte qui menait au cloître. Elle était fermée de
l’intérieur pendant la durée de la foire. Tom frappa
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