Les Piliers de la Terre
avec
irritation. « De toute façon, tu ne devrais pas repousser si vite Alfred.
— Oh !
Au nom du ciel, tais-toi.
— Qu’est-ce
que tu lui reproches ?
— Je
ne reproche rien à Alfred. Tu ne comprends donc pas ? C’est moi qui ne
vais pas bien. »
Il braqua
un doigt sur elle. « Ce que tu as, c’est que tu es foncièrement égoïste.
Tu ne penses qu’à toi. »
C’était si
monstrueusement injuste qu’elle ne ressentit aucune colère. Les larmes lui
montèrent aux yeux. « Comment peux-tu dire ça ? protesta-t-elle.
— Tout
s’arrangerait si seulement tu acceptais d’épouser Alfred, mais tu refuses.
— Si
j’épousais Alfred, cela ne t’aiderait pas.
— Mais
si.
— Comment ?
— Alfred
m’a promis qu’il m’aiderait si j’étais son beau-frère. Il faudrait que je
réduise un peu mes frais, notamment le nombre de mes hommes d’armes, mais je
pourrais m’acheter un destrier et de nouvelles armes et engager un écuyer.
— Quand ?
fit Aliena, stupéfaite. Quand t’a-t-il promis cela ?
— A
l’instant. Au prieuré. »
Aliena
rougit d’humiliation. De son côté, Richard se sentit un peu honteux. Les deux
hommes avaient négocié sa personne comme des maquignons. Aliena se leva et,
sans un mot, quitta la maison.
Elle
remonta jusqu’au prieuré et y pénétra en sautant par-dessus le fossé auprès du
vieux moulin. L’enceinte était déserte, comme elle s’y attendait, le chantier
de la cathédrale silencieux. C’était l’heure où les moines étudiaient ou se
reposaient. Tous les citoyens festoyaient dans la prairie. Elle poursuivit
jusqu’au cimetière, au-delà du chantier. Les tombes entretenues avec soin, avec
leurs croix de bois toutes neuves et leurs bouquets de fleurs fraîches
révélaient que la ville ne s’était pas encore remise du massacre. Elle s’arrêta
auprès de la tombe en pierre de Tom, ornée d’un simple ange de marbre sculpté
par Jack. Il y a sept ans, songea-t-elle, mon père avait arrangé un mariage
parfaitement raisonnable. William Hamleigh n’était pas vieux, il n’était pas
laid et il n’était pas pauvre. N’importe quelle fille de ma position l’aurait
accepté avec soulagement. Mais je l’ai refusé et tous les malheurs ont
suivi : notre château attaqué, mon père jeté en prison, mon frère et moi
ruinés : même l’incendie de Kingsbridge et la mort de Tom sont les
conséquences de mon obstination.
Et voilà
que je refuse encore une proposition parfaitement raisonnable, songea-t-elle.
Qu’est-ce qui me donne le droit d’être si difficile ? Ma délicatesse a
causé assez d’ennuis. Je devrais accepter Alfred et me réjouir de ne pas être
obligée de travailler pour maîtresse Kate.
Elle quitta
la tombe et se dirigea vers le chantier. A l’exception du toit, le chœur était
terminé et les bâtisseurs s’apprêtaient à entamer l’étape suivante : les
transepts. Le plan en était déjà tracé sur le sol avec des piquets et des
cordes, et on avait commencé à creuser les fondations. Les grands murs devant
elle jetaient de longues ombres sous le soleil de fin d’après-midi. Malgré la
douceur du jour, il faisait froid dans la cathédrale. Aliena regarda longuement
la série d’arches gracieuses et ressentit quelque chose de profondément
satisfaisant dans le rythme régulier de leur succession.
Si Alfred
voulait vraiment aider Richard, Aliena tenait encore une chance d’exaucer le
vœu qu’elle avait prononcé en présence de son père. Elle pourrait soutenir
Richard jusqu’au jour où il aurait reconquis son comté. Au fond de son cœur,
elle savait que c’était la solution. Seulement elle ne pouvait pas la
supporter.
Elle
suivit le bas-côté, laissant sa main traîner sur le mur, sur la rude texture
des pierres. Sous les fenêtres, le mur était décoré d’une arcade aveugle, comme
une rangée d’arcs comblés. Ils ne servaient qu’à ajouter au sentiment
d’harmonie qu’on éprouvait en regardant l’édifice. Tout dans la cathédrale de
Tom était prévu. Et ma vie ? pensa Aliena. Était-elle dessinée d’avance,
comme un plan d’architecture ? Et elle. Aliena ? Agissait-elle comme
un maçon imbécile et borné qui prétendrait mettre une fontaine au milieu du
chœur ?
Dans un
coin de l’église, une porte basse menait à un étroit escalier en spirale. Dans
un brusque élan. Aliena la franchit et grimpa les marches. Bientôt elle ne vit
plus la porte et pas
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