Les Piliers de la Terre
mouillée tandis que Jack
s’habillait.
Il jeta
dans le fossé sa tenue de moine. Il ne la porterait plus jamais.
« Que
comptes-tu faire maintenant ? lui demanda sa mère.
— Aller
chez Aliena.
— Maintenant ?
Il est trop tôt !
— Je
ne peux pas attendre. »
Elle hocha
la tête. « Va doucement. Elle est meurtrie. »
Jack se
pencha et enlaça Ellen, la serra contre lui. « Tu m’as libéré de prison,
dit-il en riant. Quelle mère tu fais ! »
Elle
sourit, les yeux trop brillants. Jack l’étreignit pour lui dire adieu et
s’éloigna.
Bien que
le soleil fût levé, il ne rencontra personne parce que c’était dimanche et que
les gens s’octroyaient une grasse matinée. Jack se demanda s’il ne devrait pas
se cacher. Le prieur Philip avait-il le droit de poursuivre un novice fugitif
hors du monastère ? Même s’il avait ce droit, aurait-il envie de
l’exercer ? Jack ne pouvait pas répondre. En tout cas, à Kingsbridge,
Philip était la loi personnifiée. Jack l’avait défié, il fallait donc
s’attendre à des représailles. Il y réfléchirait plus tard. Sa seule
préoccupation concernait les minutes à venir.
Il arriva
devant la petite maison d’Aliena. Et si Richard était là ? Tout serait
gâché. Il alla jusqu’à la porte et frappa doucement.
Il tendit
l’oreille. Rien ne bougeait à l’intérieur. Il frappa plus fort et cette fois il
entendit un bruit de paille froissée : quelqu’un se réveillait.
« Aliena ! » chuchota-t-il. Il l’entendit venir jusqu’à la
porte. Une voix incertaine dit : « Oui ?
— Ouvrez
la porte !
— Qui
est-ce ?
— Jack !
— Jack ! »
Il y eut
un trou de silence. Jack attendit.
Aliena
appuya sa joue contre le bois rugueux de la porte. Ça n’est pas possible,
pensait-elle ; pas aujourd’hui, pas maintenant.
La voix
reprit, insistante : « Aliena, je vous en prie, ouvrez la porte,
vite ! S’ils m’attrapent, ils me remettront en cellule ! »
Aliena
avait entendu parler de l’affaire – le sujet de conversation de toute la ville.
Il s’était donc échappé. Et il était venu droit chez elle. Son cœur se mit à
battre plus fort. Elle ne pouvait pas le chasser.
Elle
souleva la barre et ouvrit la porte.
Jack
souriait. Ses cheveux roux tout mouillés étaient plaqués sur sa tête, comme
après un bain. Il portait des vêtements civils au lieu de sa robe de moine. Il
avait l’air heureux, comme si rien de meilleur ne pouvait lui arriver que cette
rencontre. Puis il se rembrunit et dit : « Vous avez pleuré.
— Pourquoi
êtes-vous venu ici ? dit-elle.
— Il
fallait que je vous voie.
— Je
me marie aujourd’hui.
— Je
sais. Est-ce que je peux entrer ? »
C’était
mal de le laisser entrer, elle le savait ; mais l’idée lui vint que ce
soir elle serait la femme d’Alfred et qu’elle n’aurait plus jamais l’occasion
de bavarder en tête à tête avec Jack. Elle ouvrit la porte en grand. Jack entra
et elle remit la barre en place.
Ils étaient
face à face. Maintenant elle se sentait gênée. Jack la contemplait avec un
désir désespéré, comme un homme mourant de soif pourrait regarder une cascade
inaccessible. « Ne me fixez pas ainsi, dit-elle en détournant la tête.
— Ne
l’épousez pas, supplia Jack sans préambule.
— Il
le faut.
— Vous
serez malheureuse.
— Je
suis déjà malheureuse.
— Regardez-moi,
je vous en prie. »
Elle se
tourna vers lui et leva les yeux.
« Je
vous en prie, dites-moi pourquoi cette décision, dit-il.
— Pourquoi
devrais-je l’expliquer ?
— A
cause de la façon dont vous m’avez embrassé dans le vieux moulin. »
Elle
baissa les yeux, rouge jusqu’aux oreilles. Elle s’était laissée aller ce
jour-là et depuis n’avait cessé d’en éprouver de la honte. Maintenant Jack se
servait contre elle de sa propre faiblesse. Elle était sans défense.
« Après,
reprit-il, vous avez complètement changé envers moi. »
Elle
gardait les yeux baissés.
« Nous
étions de tels amis, poursuivit-il sans pitié. Tout l’été, dans la clairière,
auprès de la cascade… les histoires que je racontais… Nous étions si heureux.
C’est là que je vous ai embrassée, une autre fois. Vous vous
souvenez ? »
Elle s’en
souvenait, bien sûr, même si elle s’empêchait d’y penser. Le cœur gonflé de
chagrin. Aliena regarda Jack, les yeux pleins de larmes.
« Ensuite,
j’ai inventé un système
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