Les Piliers de la Terre
anglais, sous le portail ; ensuite on
dirait une messe en latin à l’intérieur de l’église. Les ouvriers d’Alfred
étaient tous là, comme la plupart des anciens tisserands d’Aliena. Des
acclamations l’accueillirent.
Alfred
attendait en compagnie de sa sœur Martha et d’un maçon, Dan. Il portait une
tunique neuve cramoisie et des bottes immaculées. Il avait de longs cheveux
bruns et brillants comme ceux d’Ellen. Ellen, justement, n’était pas là. Déçue,
Aliena allait demander à Martha où se trouvait sa belle-mère quand le prêtre
apparut. La cérémonie commença.
En pensée,
Aliena voyait défiler sa vie. Après le premier tournant qu’elle avait pris, six
ans plus tôt, en s’engageant à l’égard de son père, elle en rencontrait un
second aujourd’hui, avec cette autre promesse qu’elle s’apprêtait à faire à un
homme. Jusqu’à présent. Aliena avait vécu pour les autres plus que pour
elle-même. Ce matin, sa rencontre avec Jack avait constitué une bouleversante
exception. La scène lui paraissait aussi peu réelle que si elle l’avait rêvée.
Jamais elle n’en soufflerait mot à personne. Ce serait un secret qu’elle
garderait pour elle et qu’elle évoquerait de temps en temps, comme un avare au
cœur de la nuit comptant son trésor.
On allait
échanger les vœux. Répétant après le prêtre, Aliena prononça les paroles
sacrées : « Alfred, fils de Tom le bâtisseur, je te prends pour mari et
je jure de t’être toujours fidèle. » En disant cela, elle faillit éclater
en sanglots.
C’était le
tour d’Alfred. Pendant que lui aussi prononçait son serment, la foule se trouva
distraite par une certaine agitation. Aliena surprit le regard de Martha qui
murmura : « C’est Ellen. »
Le prêtre
fronça les sourcils pour rétablir le silence et dit : « Alfred et
Aliena sont maintenant mariés aux yeux de Dieu et puisse la bénédiction… »
Il ne
termina jamais sa phrase. Une voix sonore retentit au fond de l’église :
« Je maudis cette union ! »
Un
frémissement d’horreur parcourut la congrégation. Le prêtre, décontenancé,
tenta de répéter : « Et puisse la bénédiction… », mais il
s’arrêta, pâlit et fit un signe de croix. Aliena se retourna. Ellen se tenait
derrière elle, au centre d’un cercle que la foule avait laissé vide en
s’écartant. Elle tenait d’une main un coquelet vivant et un long couteau de
l’autre. Du sang jaillissait du cou tranché du volatile. « Je maudis ce
mariage qui ne sera que chagrin », lança-t-elle. Ses paroles glacèrent le
cœur d’Aliena. « Je maudis ce mariage qui ne sera que stérilité, je maudis
ce mariage qui ne sera qu’amertume, haine, affliction et regret. Je maudis ce
mariage qui ne sera qu’impuissance. » En prononçant ce mot, elle lança en
l’air le coq agonisant. Des gens s’enfuirent en criant. Aliena, figée, ne
pouvait détacher son regard d’Ellen. Le coq tomba et rebondit, aspergeant de
sang l’assistance la plus proche, en plein sur Alfred qui sauta en arrière,
terrifié.
Quand on
osa relever les yeux. Ellen avait disparu.
Martha
avait mis des draps de lin blanc et une couverture de laine neuve sur le lit,
le grand lit de plumes qui avait été celui d’Ellen et de Tom et qu’occuperaient
maintenant Alfred et Aliena. On n’avait pas revu Ellen depuis le mariage. La
fête s’était passée sans entrain, comme un pique-nique raté par temps glacial.
Chacun s’occupait tristement à manger et à boire, car il n’y avait rien d’autre
à faire. Les invités étaient tous partis au coucher du soleil, sans lancer aucune
des grasses plaisanteries habituelles à propos de la nuit de noce des nouveaux
mariés.
Martha
s’était couchée en arrivant dans l’autre pièce. Quant à Richard, il avait
regagné la petite maison d’Aliena, qui serait désormais la sienne.
Alfred
parlait de bâtir une demeure en pierre l’été prochain. Il s’en était vanté
auprès de Richard durant le festin. « Elle comportera une chambre à
coucher, une grande salle et un magasin, avait-il dit. Quand la femme de John
Silversmith la verra, elle en voudra une exactement pareille. Après, tous les
riches de la ville réclameront leur maison de pierre.
— Avez-vous
déjà dessiné un plan ? avait demandé Richard d’une voix où Aliena avait
décelé une nuance de scepticisme.
— J’ai
quelques vieux dessins de mon père, tracés à l’encre sur
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