Les Piliers de la Terre
mère.
— Je
reviendrai.
— Promis ?
— Promis.
— Si
tu te trouves à court d’argent avant de trouver du travail, vends le cheval,
pas les outils, ajouta-t-elle.
— Je
t’aime, mère », murmura-t-il.
Les yeux
d’Ellen débordaient de larmes. « Fais attention à toi, mon fils. »
Il
éperonna le cheval. Quelques foulées plus loin, il se retourna en agitant le
bras. Elle répondit à son geste d’adieu. Puis il mit sa monture au trot et
avança droit devant lui.
Richard
revint juste à temps pour le mariage.
Le roi
Stephen lui avait généreusement accordé deux jours de congé, expliqua-t-il.
L’armée campait à Oxford, assiégeant le château où Maud était prise au piège,
si bien que les chevaliers n’avaient pas grand-chose à faire. « Je ne
pouvais tout de même pas manquer le mariage de ma sœur », dit Richard.
Aliena traduisit ses paroles : Tu veux surtout t’assurer que le marché
tient toujours et que tu auras ce qu’Alfred t’a promis.
Dans sa
peine, elle se sentait quand même réconfortée qu’il la conduise lui-même à
l’autel. Sans lui, elle n’aurait eu personne.
Elle passa
une camisole de toile neuve et une robe blanche à la dernière mode. Elle ne
pouvait pas espérer des miracles de ses cheveux mutilés, mais elle noua en
tresses les mèches les plus longues et les attacha avec d’élégants rubans
blancs. Une voisine lui prêta un miroir. Elle était pâle et on voyait à ses
yeux qu’elle n’avait pas dormi de la nuit. Eh bien, tant pis.
Richard
l’observait d’un air un peu penaud, comme s’il se sentait coupable, et il
paraissait nerveux. Au fond, il craignait encore de la voir tout décommander à
la dernière minute.
En vérité,
elle était grandement tentée de le faire. Elle s’imaginait quittant Kingsbridge
avec Jack, main dans la main, pour entamer une vie nouvelle ailleurs, une vie
simple de travail honnête, libérée des étouffants serments d’autrefois. Mais
c’était un rêve fou. Jamais elle ne pourrait être heureuse si elle abandonnait
son frère.
Parvenue à
cette conclusion, elle se vit descendant jusqu’à la rivière pour s’y jeter.
Elle se représenta son corps inerte, flottant dans sa robe de mariée gorgée
d’eau au fil du courant, le visage tourné vers le ciel, les cheveux épandus.
Cette vision l’effraya assez pour la ramener à une décision plus sage et elle
se retrouva à son point de départ ; le mariage était la meilleure, la
seule solution qui s’offrait à elle pour ses problèmes les plus aigus.
Jack
mépriserait ce genre de raisonnement, se dit-elle avec dégoût.
La cloche
de l’église se mit à carillonner.
Aliena se
leva.
Quand,
jeune fille, elle pensait à son mariage, elle se voyait au bras de son père,
quittant le donjon pour franchir le pont-levis qui menait à la chapelle dans la
cour commune ; les chevaliers et les hommes d’armes de son père, les
serviteurs et les fermiers se pressaient autour d’eux pour les acclamer et lui
souhaiter du bonheur. Dans ses rêveries, le jeune homme qui attendait dans la
chapelle avait toujours été un peu flou, mais elle savait qu’il l’adorait,
qu’il la faisait rire et qu’elle le trouvait merveilleux. Hélas ! Rien
dans sa vie ne s’était passé comme elle s’y attendait.
Richard
ouvrit la porte de l’unique pièce de la maison, et elle sortit.
A sa
grande surprise, quelques-uns des voisins attendaient sur le pas de leur porte
pour la voir partir. Quand elle apparut, des voix joyeuses s’élevèrent :
« Dieu vous bénisse ! », « Bonne chance ! » Un
sanglot de reconnaissance lui étrangla la gorge. Comme elle remontait la rue,
on l’aspergea de grains de blé, en vœu de fertilité. Elle aurait des enfants et
tout le monde l’aimerait.
L’église
paroissiale était à l’autre bout de la ville, dans le quartier riche où Aliena
habiterait à compter du soir même. Son frère et elle passèrent devant le
monastère où, en ce moment, les moines devaient célébrer leur office dans la
crypte. Le prieur Philip avait promis d’assister au festin du mariage pour
bénir le nouveau couple. Aliena espérait qu’il tiendrait parole. Il avait
représenté une force importante dans sa vie, depuis le jour où, six ans plus
tôt, il lui avait acheté sa première laine à Winchester.
Ils
atteignirent l’église, bâtie par Alfred avec l’aide de Tom. Il y avait foule
dehors. Le mariage serait célébré en
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