Les Piliers de la Terre
plus : le monde
était ainsi fait.
Alfred
baissa la voix. « Je peux amener avec moi tous ceux qui travaillent à
Kingsbridge. »
Les trois
auditeurs concentrèrent leur attention sur le maçon.
« Répète-moi
cela, dit Waleran.
— Si
vous m’engagez comme maître bâtisseur, j’amènerai avec moi tous les artisans de
Kingsbridge.
— Comment
savons-nous, interrogea Waleran avec méfiance, si tu dis la vérité ?
— Je
ne vous demande pas de me croire, dit Alfred. Confiez-moi ce poste sous
condition. Si je ne fais pas ce que je promets, je m’en irai sans réclamer
d’argent. »
Pour des
raisons différentes, ses trois interlocuteurs détestaient tant le prieur Philip
qu’ils furent aussitôt séduits par la perspective de lui assener un coup fatal.
« Plusieurs
de ces maçons, ajouta Alfred, ont travaillé à Saint-Denis.
— Mais
comment les convaincras-tu ? demanda Waleran, frémissant d’impatience.
— Peu
importe. Disons qu’ils me préfèrent à Jack. »
William
était convaincu qu’Alfred mentait à ce propos et Waleran semblait sceptique lui
aussi, car il renversa la tête en arrière et toisa longuement Alfred.
« S’ils
te suivent tous ici, reprit William, les travaux s’arrêteront à Kingsbridge.
— Oui,
confirma Alfred. Complètement. »
William
regarda Waleran et Peter. « Il faut en discuter plus à fond. Dînons tous
ensemble. »
Waleran
acquiesça. « Suis-nous jusqu’à ma maison, dit-il à Alfred. Elle est de
l’autre côté de la place du Marché.
— Je
sais, répondit Alfred. C’est moi qui l’ai bâtie. »
Deux jours
durant, le prieur Philip refusa de discuter la grève. Il était muet de rage et,
chaque fois qu’il apercevait Jack, il tournait les talons et partait dans la
direction opposée.
Le
deuxième jour, trois charrettes de farine arrivèrent d’un des moulins du
prieuré. Des hommes d’armes les escortaient : la farine en ce temps-là
était aussi précieuse que l’or. Ce fut frère Jonathan, cellérier adjoint du
vieux Cuthbert le Chenu, qui prit livraison du chargement. Jack le regarda
compter les sacs. Il y avait quelque chose d’étrangement familier dans le
visage de Jonathan, comme s’il ressemblait à quelqu’un que Jack connaissait
sans pouvoir le nommer. Jonathan était grand et dégingandé, avec des cheveux
châtain clair, pas du tout comme Philip – frêle, petit, et noir de cheveux.
Mais, à part le physique, Jonathan tenait beaucoup de son père spirituel. Le
jeune homme était ardent, déterminé, ambitieux et nourri de nobles principes.
Les gens l’aimaient bien malgré son attitude un peu rigide moralement, tout
comme ils aimaient bien Philip.
Puisque le
prieur refusait de lui parler, le mieux pour Jack était d’avoir une
conversation avec Jonathan.
Jack
regarda Jonathan payer les hommes d’armes et les charretiers. Il était d’une
efficacité tranquille et, quand les charretiers réclamèrent plus que leur dû,
comme ils ne manquaient jamais de le faire, il leur opposa un refuscalme
mais ferme. Jack observa qu’une éducation monastique était une bonne
préparation au commandement.
Le commandement.
Les lacunes de Jack dans ce domaine s’étaient révélées plutôt brutalement. Il
avait transformé un problème en crise à cause de sa maladresse. Chaque fois
qu’il pensait à cette réunion, il se maudissait d’avoir si mal su négocier avec
les hommes. Il était bien décidé à arranger les choses, d’une manière ou d’une
autre.
Comme les
charretiers s’en allaient en grommelant, Jack s’approcha d’un pas nonchalant.
« Philip est absolument outré par la grève », dit-il à Jonathan.
Un
instant, le jeune homme parut sur le point de dire quelque chose de désagréable
– il était manifestement fort en colère lui-même –, mais son visage se détendit
et il affirma : « Il paraît en colère, mais au fond il est blessé.
— Il
prend la situation comme une insulte personnelle.
— Oui.
Il a le sentiment que les artisans se sont retournés contre lui au moment où il
aurait eu besoin de leur compréhension.
— Je
pense que, dans une certaine mesure, c’est le cas, approuva Jack. Mais Philip a
commis une grave erreur de jugement en essayant de changer autoritairement les
habitudes de travail.
— Que
pouvait-il faire d’autre ?
— Commencer
par discuter de la crise avec eux. Peut-être auraient-ils suggéré eux-mêmes
quelques économies. Mais je
Weitere Kostenlose Bücher