Les Piliers de la Terre
coup
d’estoc, brandit son épée, para un coup de taille et recula. Richard avançait
toujours, mais William était maintenant protégé par le chambranle qui limitait
Richard dans ses assauts. Il parvint néanmoins à faire reculer encore William
jusqu’au seuil de l’aire, tandis que lui-même restait dans l’encadrement de la
porte. Mais Walter et Gervase l’attaquaient aussi. Pressé par les trois hommes,
il recula encore. Sitôt qu’il eut franchi le seuil, Walter et Gervase furent
évincés et ce fut de nouveau William contre Richard.
William
estima que Richard était en mauvaise posture. Dès qu’il gagnait du terrain, il
se trouvait opposé à trois hommes. Quand William serait fatigué, il pourrait
céder la place à Walter. Il était impossible à Richard de faire face
indéfiniment aux trois chevaliers. Il livrait une bataille perdue. Peut-être
après tout la journée ne se terminerait-elle pas dans l’humiliation, pensa
William. Peut-être allait-il enfin se débarrasser de son plus vieil ennemi.
Richard
avait dû parvenir à la même conclusion. Mais il ne perdait rien de son énergie
et de sa détermination. Il regarda William avec un sourire farouche que
celui-ci jugea exaspérant, et plongea l’épée en avant. William esquiva le coup,
trébucha. Walter se précipita pour protéger William du coup de grâce mais, de
façon inattendue, Richard tourna les talons et s’enfuit.
William se
releva et se cogna à Walter tandis que Gervase essayait de se faufiler entre
eux. Le temps qu’ils se dégagent tous trois, Richard avait traversé la petite
pièce et s’était esquivé en claquant la porte que William se précipita pour
rouvrir et constater que les hors-la-loi s’enfuyaient, comble d’humiliation,
sur les chevaux des compagnons de William. Une fois dehors, William vit son
cheval, un superbe destrier qui lui avait coûté une rançon de roi, filer, monté
par Richard. C’était la seconde fois, songea William mortifié, que Richard lui
volait son cheval. Il les regarda s’éloigner, une envie de meurtre au fond du
cœur.
Le comte
légitime, se répétait-il. Le comte légitime.
Il se
retourna. Walter et Gervase se tenaient derrière lui.
Hugh et
Louis étaient blessés, peut-être gravement, et Guillaume était mort. Son sang
tachait tout le plastron de la tunique de William. Celui-ci, effroyablement
vexé, avait du mal à garder la tête droite.
Par
bonheur, le village était désert, abandonné par les paysans qui s’étaient
enfuis sans attendre de subir la colère de leur seigneur. Le meunier et sa
femme avaient naturellement disparu eux aussi. Les hors-la-loi avaient emmené
les chevaux, ne laissant que deux chariots et leur attelage de bœufs.
William se
tourna vers Walter. « Tu l’as reconnu, le dernier ?
— Oui. »
Walter
avait l’habitude de parler le moins possible quand son maître était en fureur.
« C’était
Richard de Kingsbridge », jeta William.
Walter
acquiesça d’un mouvement de tête.
« Et
ils l’appelaient le comte légitime », insista William.
Walter ne
pipa mot.
William
regagna le moulin en traversant la maison.
Hugh était
assis là, sa main gauche appuyée sur son épaule droite, très pâle.
« Comment
ça va ? interrogea William.
— Ce
n’est rien, répondit Hugh. Mais qui étaient ces gens ?
— Des
hors-la-loi », répondit brièvement William. Il regarda autour de lui. Sept
ou huit voleurs gisaient morts ou blessés sur le sol. Il aperçut Louis allongé
sur le dos, les yeux grands ouverts. D’abord il le crut mort ; puis Louis
cligna les yeux.
« Louis »,
s’écria William.
Louis
souleva la tête, l’air égaré.
« Hugh,
ordonna William, aide Louis à monter dans un des chariots. Walter, mets dans
l’autre le corps de Guillaume. » Il les laissa et ressortit.
Aucun des
villageois ne devait posséder de chevaux, mais le meunier avait un bidet
pommelé qui broutait l’herbe rare de la berge. William trouva la selle et la
fixa sur la bête.
Quelques
instants plus tard, il quittait Cowford avec Walter et Gervase conduisant les
chariots à bœufs.
Sa fureur
ne se calma pas durant le trajet. En fait, plus il ruminait les événements,
plus sa colère s’amplifiait. C’était déjà intolérable que les hors-la-loi aient
osé le défier ; c’était pire qu’ils eussent à leur tête son vieil ennemi
Richard ; c’était scandaleux, enfin, d’appeler Richard le comte légitime.
Si on ne les
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