Les Piliers de la Terre
levé elle le
dévisageait sans crainte. La vue d’Aliena avait enflammé ses sens et maintenant
il avait envie d’étancher son désir. Pourquoi pas cette fille ? Une fière
luronne, il en était sûr : elle se débattrait et le grifferait. Tant mieux.
« Tu
n’es pas marié à cette femme, n’est-ce pas, bâtisseur ? dit-il. Je me
souviens de ton épouse… une vilaine vache. »
Une ombre
traversa le visage du maçon : « Ma femme est morte.
— Et
tu n’as pas encore emmené celle-ci à l’église, n’est-ce pas ? Tu n’as pas
un penny pour payer le prêtre ! » Derrière William, Walter toussa et
les chevaux s’agitèrent avec impatience. « Et si je te donnais de l’argent
pour acheter de quoi manger ? continua William pour le tenter.
— Je
l’accepterais avec gratitude, dit l’homme, mais William sentait bien qu’il
avait parlé à contrecœur.
— Il
ne s’agit pas d’un cadeau. Je veux acheter la femme qui est avec toi. »
Ce fut
elle qui prit la parole. « Je ne suis pas à vendre, mon garçon. »
Son ton
méprisant mit William en rage. Je vais te montrer si je suis un homme ou un
garçon, songea-t-il, quand nous serons seuls. Il se tourna vers le
bâtisseur : « Je la paierai une livre d’argent.
— Elle
n’est pas à vendre. »
La colère
de William enflait. Cet homme affamé osait refuser la fortune offerte ?
« Imbécile, dit-il, si tu ne prends pas l’argent, je vais te passer au fil
de mon épée et baiser cette femme devant les enfants ! »
Le bras du
bâtisseur bougea sous son manteau. Il doit avoir une arme, se dit William. Et
puis, bien qu’il fût mince comme une lame, il était bien capable de se battre
méchamment pour protéger sa femme. Celle-ci écarta sa pèlerine et posa la main
sur le pommeau d’une dague étonnamment longue qu’elle portait à la ceinture. Le
garçon était assez grand, lui aussi, pour créer des problèmes.
Walter
lança d’une voix sourde, mais distincte : « Seigneur, nous n’avons
pas le temps. »
William
acquiesça, la rage au cœur. Il fallait ramener Gilbert au manoir des Hamleigh.
L’affaire était trop importante pour qu’ils perdent leur temps dans une bagarre
pour une femme.
William
toisa la petite famille, ces cinq malheureux affamés et dépenaillés, prêts à se
battre jusqu’au bout contre deux robustes gaillards munis de chevaux et
d’épées. Il ne les comprenait pas. « Très bien, alors crevez de
faim », dit-il. Il éperonna son cheval et repartit au trot. Quelques
instants plus tard, les cavaliers avaient disparu.
Lorsqu’ils
eurent marché environ une demi-lieue après leur rencontre avec William
Hamleigh, Ellen dit : « Est-ce qu’on peut ralentir
maintenant ? »
Tom se
rendit compte que, par peur, il leur avait imposé un train rapide. Il avait
bien vu qu’Alfred et lui allaient devoir affronter ces deux hommes armés à
cheval. Il n’avait même pas d’arme. Cherchant sous son manteau de maçon, il s’était
rappelé, avec consternation, l’avoir vendu quelques semaines plus tôt pour un
sac d’avoine. Il ne savait pas pourquoi William avait fini par battre en
retraite, mais il tenait à mettre la plus grande distance possible entre eux au
cas où une nouvelle idée germerait dans le méchant petit esprit du jeune
seigneur.
Tom
n’avait pas réussi à trouver du travail au palais de l’évêque de Kings-bridge
et pas davantage ailleurs. Il y avait toutefois une carrière dans les environs
de Shiring, et une carrière – contrairement à un chantier de construction –
employait autant d’hommes en hiver qu’en été. Certes, le métier de Tom était
plus spécialisé et mieux payé que celui de tailleur de pierre, mais il voulait
simplement nourrir sa famille. La carrière de Shiring appartenait au comte
Bartholomew, que, d’après ses renseignements, Tom pourrait trouver dans son
château à une ou deux lieues à l’ouest de la ville.
Maintenant
qu’Ellen l’accompagnait, il était encore plus désespéré qu’avant. Il savait
qu’elle avait uni son destin au sien par amour, sans peser vraiment les
conséquences. Elle ne se rendait pas bien compte de la difficulté pour Tom à
trouver du travail.
Elle
n’avait pas envisagé la possibilité qu’ils pourraient ne pas survivre à
l’hiver, et Tom s’était bien gardé de lui ôter ses illusions, car il désirait
qu’elle reste avec lui. Mais, en tant que femme, ne choisirait-elle pas le bien
de
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