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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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compagnies. Elles devaient se faire tuer sur place, « réparer le jour même », avec « une résolution ferme ». Coupables, en quelque sorte. Déjà le bombardement des 75 recommençait, visant la crête. Les hommes, serrés les uns contre les autres, attendent l’heure de l’assaut en mangeant des conserves, sans mot dire. « Rien ne les émeut plus, écrit Maurice Genevoix, ni les ordres qui arrivent sans cesse, ni les ajournements, ni les incertitudes renouvelées. »
    L’un d’eux se détache du groupe, prend tous les bidons des camarades pour aller chercher de l’eau. Il ne reviendra pas. Les autres se lèvent au signal de l’attaque, sans maugréer, sans protester (à quoi bon ?), se regroupant en une force collective impressionnante, pour prendre la file dans les parallèles. Ils peuvent l’emporter sur les Allemands ou suivre leurs copains dans la mort. Ils ne connaissent pas le sort qui leur est réservé. Ils espèrent qu’ils auront encore la bonne fortune d’en revenir. Le visage immobile, sans paroles inutiles, ils suivent le sergent faisant fonction de lieutenant qui se fera tuer le premier dans la compagnie. Ils partageront son sort : une équipe soudée par la mort qui ne discute pas la guerre et la fait en silence, quoi qu’elle en pense.
    La crête est reprise, et la terre sent le cadavre. Le 19 février, le bombardement des pièces lourdes reprend. Attaques et contre-attaques. On apporte aux poilus des seaux de café et de gnôle. Le 132 e de Reims pousse de son côté. Le 20 février, trois cents tués au 106 e , mille blessés, plus de la moitié des hommes hors de combat. Faut-il continuer ? « Qu’ils tiennent, dit le colonel, qu’ils tiennent quand même, coûte que coûte. »
    Et les obus pleuvent, des 77, des 120, des 210, de lourds 305. C’est un obus de 210 qui ensevelit Genevoix. Il a décrit cette seconde de la mort comme personne : « Je l’ai senti à la fois sur ma nuque, assené en massue formidable, et devant moi, fournaise rouge et grondante. » Un « flot sanglant et rouge qui s’est rué sur moi, me brûlant les entrailles ». Il est surpris d’entendre battre son cœur. Il est libre de ses gestes, il peut se lever. Miracle ! Autour de lui, les copains sont morts ou blessés. Il est bientôt le seul vivant dans la tranchée des morts. On aligne les cadavres le long du trou du 210. Le lendemain, 21 février, les obus tombent encore, avant la dernière contre-attaque.
    Pour le 106 e , c’est terminé. « Nous avons repris la moitié du bois de sapins, commente ce jour-là le chef d’état-major Micheler, et nous sommes maîtres de la tranchée NH située en arrière de l’angle d’épaule, depuis son point de rencontre avec MG jusqu’à 70 mètres environ au sud-ouest du point de croisement N. Les tranchées MG et MN de l’angle d’épaule n’existent d’ailleurs plus, elles sont été bouleversées. Nous nous organisons sur la tranchée conquise. » Voilà pourquoi sont morts, en cinq jours et cinq nuits de furieux combats, les fantassins de Reims et de Châlons.
    *
    L’échec de l’infanterie a toujours les mêmes causes, dont les poilus sont en permanence victimes : le général Humbert, ancien chef de la division marocaine à Ta bataille de la Marne, est un de ces chefs qui croient aux vertus de la surprise et de l’offensive, comme Grossetti et Foch lui-même, malgré les déconvenues de 1914. Commentant une attaque de la 42 e division d’élite du 17 février, menée par les chasseurs à pied de Lille et les fantassins de Saint-Quentin (151 e RI), il souligne que l’assaut aboutit très vite, avec une aisance suspecte, à la conquête de la première tranchée ennemie. Les chasseurs ne font qu’un petit nombre de prisonniers et exterminent l’adversaire à la bombe ou à la grenade. Les quatre officiers commandant l’attaque ont été tués ou blessés mais des chefs provisoires prennent en main la poursuite de l’opération.
    Surgit alors des trous du terrain l’infanterie abritée, intacte, qui oblige les chasseurs aventurés sur la deuxième position à rétrograder sur la première. Les hommes du génie aménagent à la hâte cette position qui n’est pas prévue pour tirer vers l’arrière et qui n’est pas protégée de ce côté par un réseau de barbelés. Il est donc facile de bousculer les Français assommés par les tirs de Minenwerfer.
    L’état-major leur envoie des renforts qui progressent

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