Les Poilus (La France sacrifiée)
difficilement sur le no man’s land encombré de chevaux de frise et d’abattis. Entre deux contre-attaques, les Allemands bombardent la ligne avec des 77 et des 105 percutants qui causent de grands dommages. Les poilus du 328 e , des réservistes d’Abbeville, se font matraquer dès qu’ils abordent la première ligne de la tranchée française où ils ont été amenés en renfort, sans avoir vu l’ennemi. Ils comptent déjà une centaine d’hommes hors de combat.
On ne parle plus, dans les comptes rendus, de colonnes d’assaut arrêtées par les obstacles de fils de fer, comme en janvier. Les chasseurs ont avancé en terrain dégagé par l’artillerie et les sapeurs. Il n’est plus question, comme en août 1914, de charges arrêtées par des nids de mitrailleuses : les artilleurs du 75 ont appris à les contrebattre. Si les attaques échouent, c’est qu’on ne domine pas le feu allemand d’artillerie lourde, capable de tirer avec précision et d’interdire tout maintien sur la position enlevée de vive force. Le séjour en secteurs immobiles a permis aux observateurs de quadriller le terrain et d’ajuster le tir des pièces. Il est clair que la victoire ne peut être acquise sans la supériorité de l’artillerie lourde, et surtout des obusiers de tranchée qui accablent les chasseurs. Le commandant Segonne, qui les exhorte à la résistance, est tué d’une balle dans la tête.
Les Français perdent 40 % de leur effectif par l’effet des Minenwerfer. Ils mettent deux heures pour parcourir deux cents mètres et regagner leurs lignes. La retraite est un enfer, pire que l’attaque. Impossible de ramener tous les blessés. Ils râlent entre les lignes. « La lutte a été magnifique, écrit le général Humbert, lyrique. Chaque pouce de terrain n’a été perdu que par la mort de son défenseur. » Les derniers chasseurs n’avaient plus ni grenades ni munitions. Ils manquaient d’eau et de vivres. Pour tenir jusqu’au bout, ils ont pris les fusils et les munitions des Allemands, relancé leurs grenades non éclatées. Ils ont perdu dans la journée cinq cents hommes, la moitié du bataillon, et tous leurs officiers. Un exemple à citer à l’ordre de l’armée.
Un exploit d’une magnifique inutilité. Il a contribué à démontrer jusqu’à quel point les défenses allemandes pouvaient être invulnérables, soutenues par le feu d’une artillerie lourde précise et parfaitement synchronisée avec l’action de l’infanterie grâce au bon fonctionnement des liaisons. Il est impossible d’obtenir d’une troupe, même de la légion étrangère ou des tirailleurs algériens de la division coloniale, qu’elle tienne des positions conquises sans un puissant soutien d’artillerie.
Langle de Cary se plaint : sur une dotation de 400, 86 de ses 75 ont éclaté, après dix jours de combats, et ne sont pas remplacés, Joffre ne peut l’aider qu’avec parcimonie. Les approvisionnements en obus baissent constamment. Il demande en vain à Millerand la production de 60 000 coups par jour, il n’en reçoit que 36 000. Force est de réserver la capacité de production aux seuls obus de 75, à l’exclusion des pièces lourdes, jusqu’au 15 mars. Il redoute que son offensive ne vienne à échouer, faute de munitions.
Les troupes fraîches commencent à manquer. Il faut faire donner le corps colonial très éprouvé, qui n’a eu que quelques jours de repos. Les contre-attaques ennemies deviennent plus puissantes, soutenues par une artillerie plus nombreuse. La bataille se poursuit sans relâche et les effectifs risquent de fondre dans la neige, jusqu’au dernier homme, si l’on n’envoie pas de renforts.
Des colonels commandent les brigades et même des divisions, les régiments sont aux ordres des commandants. Beaucoup d’entre eux n’ont que trois capitaines de l’armée active pour commander quatorze compagnies. Ils ont dû nommer au feu des adjudants. Les sections sont livrées à des sous-lieutenants nommés « à titre temporaire », anciens sergents ou élèves sortis des écoles. Un régiment n’a jamais plus de quarante officiers en ligne, au lieu des soixante-deux réglementaires. Dans beaucoup d’unités, il n’y a plus du tout d’officiers de carrière.
Où prendre des renforts ? L’état-major planifie les ressources humaines, sans trouver de solution. On fait le compte des « blessés-guéris », 100 000 pour quarante jours en moyenne. Il restait, au 6
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