Les Poilus (La France sacrifiée)
février, 1 200 000 hommes dans les dépôts, mais 250 000 en formaient les cadres quand ils n’étaient pas déclarés inaptes à la campagne. 750 000 étaient non instruits, blessés ou malades convalescents, 200 000 étaient théoriquement disponibles, mais la moitié seulement pouvaient constituer des nouvelles unités. En quatre mois, depuis le début de la guerre, les pertes étaient si lourdes que 911 000 hommes de renfort avaient dû être envoyés d’extrême urgence à l’infanterie. Au rythme des combats de 1915, on établissait calmement dans les bureaux une prévision moyenne de pertes de 150 000 hommes par mois. Déjà Joffre envisageait de lever la classe 1916 dans le courant d’avril, pour l’utiliser à partir du mois d’août. Pour la jeunesse, la guerre était devenue un Moloch.
L’offensive de Champagne se poursuivait, sur le secteur restreint de Perthes-les-Hurlus, dans un rituel renouvelé d’attaques : les divisions fraîches se succédaient, à mesure que les blessés des unités d’assaut étaient évacués des lignes. Le 24 février, les régiments du Nord, qui avaient jusque-là donné l’assaut à la première division, étaient remplacés par les fantassins d’Abbeville et de Beauvais qui entraient à leur tour dans le cirque sans bénéficier d’aucun effet de surprise.
Au 17 e corps, Bretons et Agenais étaient depuis plusieurs jours relevés par les régiments d’Alençon et de Chartres (103 e et 102 e ). Joffre avait interdit qu’on distingue désormais entre les unités de choc et celles de la réserve. Toutes étaient bonnes pour la noria qui faisait décimer un nombre croissant de régiments devant le feu d’enfer des tranchées du bois du Sabot ou la redoute de la Mamelle sud. L’état-major s’obstinait à chercher la rupture sur ce secteur champenois où les Allemands avaient eu largement le temps d’accumuler les pièces lourdes et les renforts d’artillerie de tranchée.
Le 23 février, les coloniaux du 22 e corps entraient dans la danse, au point le mieux défendu, le Fortin. Les 1 er , 2 e , 4 e et 17 e corps sont toujours engagés dans une lutte « pied à pied», dont on espère qu’elle finira par user l’ennemi dépourvu de réserves. Le 26, une attaque est menée en vain par les trois divisions confiées au général Gérard, soutenues par deux cents canons de 75 et quelques pièces lourdes, en nombre insuffisant. Les soldats des compagnies d’assaut ont été tués avant même d’arriver sur les lignes par un barrage très violent d’artillerie de gros calibre, des pièces de 15 et de 21 cm.
La noria se poursuit. Les poilus des 16 e et 12 e corps entrent en action sous la direction de Grossetti, le général insoucieux des pertes qui a déjà fait merveille par son courage à Dixmude, à qui l’on confie un groupement destiné à réaliser enfin la percée. L’état-major compte qu’il ira jusqu’au bout. Il doit s’emparer à toutes forces de l’imprenable bois du Sabot. Ordre est donné aux artilleurs, pour réaliser la surprise, de n’engager des « tirs d’efficacité » que quatre ou cinq minutes avant l’assaut. Plusieurs heures de tirs « de démolition » sur les barbelés et les redoutes de flanquement auront facilité la progression, mais ce matraquage cessera deux heures avant l’action, pour dérouter l’ennemi. Joffre donne enfin des instructions, le 27 février, pour que les observations soient faites, non pas par petits groupements, mais au bénéfice d’un organe central qui distribuera les ordres de tir, précisément, en fonction des besoins exprimés. Cela n’empêche pas les Allemands de renforcer constamment leurs contre-attaques de nouvelles batteries de gros calibre ouvrant un tir violent sur l’infanterie.
Leur propre infanterie est à l’abri des obus adverses grâce à une série de cavernes-abris reliées entre elles par un large souterrain creusé à quatre ou cinq mètres de profondeur. Les Français de Grossetti découvrent ce réseau au nord-ouest de Perthes le 6 mars seulement. Il explique la vigueur et la soudaineté des contre-attaques, qui déconcertent les Français. D’où sortent les Allemands en si grand nombre ?
Avant l’assaut donné le 7, de Langle crut bon d’avertir les chefs de corps. On lui a rapporté que plusieurs unités avaient dû reculer, au cours de précédentes attaques, contre des tirs de mitrailleuses ou d’artillerie. Il assure sans
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