Les Poilus (La France sacrifiée)
maintenir dans les positions conquises, sans un puissant et constant soutien d’artillerie. L’état-major français n’avait aucune chance, au début de 1915, de compenser son infériorité manifeste en tubes de gros calibre. Les Allemands disposaient de 2 000 pièces à l’entrée en guerre. Ils doubleraient leur parc l’année suivante. Ils gardaient donc la maîtrise absolue du champ de bataille, d’autant plus que sur le front stabilisé les canons lourds camouflés étaient pratiquement hors d’atteinte du feu français.
Sans doute pouvait-on porter les pièces légères de campagne au plus près des lignes. Mais le programme de production français trop restreint ne permettait d’offrir, en janvier, que 250 de ces pièces au lieu des 750 que Joffre réclamait. Il n’était pourvu en munitions qu’aux trois quarts de ses demandes. À l’évidence, la fabrication ne suivait pas. Cette insuffisance condamnait l’infanterie à l’échec, même si l’on pensait que l’on pouvait concentrer un feu efficace sur les seuls points de l’offensive. Ainsi la première opération préparée par l’état-major parvenait à rendre mobiles et utilisables cent pièces lourdes seulement. Elle n’aurait qu’une ampleur mesurée, faute de moyens : la percée projetée en Champagne le 15 février ne reposait que sur une préparation d’artillerie « de quelques heures » et sur une largeur de front restreinte à huit kilomètres. Joffre n’engageait que trois corps d’armée, dont un en réserve. Il restait prudent.
Ses directives aux artilleurs tenaient compte de la modicité de ses moyens. Les pièces lourdes, si rares dans les lignes françaises, ne devaient pas être utilisées, prescrivait-il, pour des tirs uniquement destinés à inquiéter l’adversaire. Les dotations devaient être réservées pour le travail utile de la période d’offensive, attaquer les abris puissants ou les objectifs que le 75 ne pouvait atteindre. À la veille de l’action, Joffre prévenait que les pièces lourdes ne pouvaient se substituer à l’artillerie légère « que très exceptionnellement ».
Quant aux canons de 75, une note du 20 février du grand quartier général établit que les besoins sont à cette date de 518 canons destinés à remplacer les tubes éclatés ou détruits. On ne dispose, jusqu’à la fin d’avril, que de 120 pièces au mieux. L’offensive de février est donc décidée dans une insuffisance caractérisée des moyens d’artillerie, même légère. On espère pallier cette carence manifeste par une concentration des batteries sur les huit kilomètres de la zone d’attaque, au détriment des autres secteurs.
De Perthes-les-Hurlus à la Main de Massiges, les combats ne se relâchaient pas depuis décembre. Mais ils prennent une ampleur nouvelle. De l’est de Reims à l’ouest du massif de l’Argonne, les régiments de la IV e armée du général de Langle de Cary s’alignent dans les parallèles d’assaut, douze unités de choc, bien équipées en mitrailleuses. Cette offensive de Champagne doit se combiner avec l’action entreprise entre Villers-au-Bois et Anzin-Saint-Aubin en Artois par le 33 e corps du général Pétain. Il doit attaquer sur quatre kilomètres, avec cinq régiments, huit mille fusils au pire. Il se plaint de ne pouvoir disposer que de quarante batteries d’artillerie de soutien, soit cent soixante pièces, alors qu’il en faudrait quatre cents.
Si l’attaque de Champagne réussit, Joffre compte l’étendre par échelons jusqu’à la III e armée qui tient l’Argonne, et la soutenir par l’action de la V e armée, en position dans la Montagne de Reims. Elle a donc des ambitions plus vastes que sa modeste ligne d’attaque. Pétain prévoit déjà deux jours de vivres pour chaque fantassin, un bagage réduit à la toile de tente et deux couvertures, les réserves de munitions à deux cents cartouches par homme et les « bidons remplis ».
L’attaque de la IV e armée est fixée au 12 février. Une assez forte concentration d’artillerie est réalisée sur les huit kilomètres du front avec tous les moyens disponibles en groupes de deux ou trois batteries à quatre pièces de 105, 120, 155 court et long. Ces ressources sont insuffisantes. Le 16 février, alors que l’offensive de Champagne est déjà engagée, le général Pellé est chargé d’envisager la réorganisation de l’artillerie lourde et des ressources à utiliser pour acheminer
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