Les Poilus (La France sacrifiée)
jours, mais il n’est pas question d’y renoncer. Les fantassins du recrutement de Langres qui ont pris et repris la chapelle de Notre-Dame-de-Lorette doivent savoir qu’ils ne peuvent reculer.
Joffre apprend le 15 mai que les Russes sont en retraite sur tout leur front, et redoute que les Allemands vainqueurs ne ramènent leurs corps d’armée à l’ouest. Il faut se hâter d’emporter la décision, poursuivre, malgré les pertes, sous peine d’être submergé par les renforts ennemis sur un front où il dispose déjà de deux millions de combattants. Les hommes meurent pour s’emparer de points de départ en vue d’une future opération, du cimetière d’Albin Saint-Nazaire ou du fortin des Quatre Boqueteaux. Ils s’enfoncent jusqu’aux genoux dans le terrain détrempé par les pluies et ne peuvent progresser. Les quelques avancées des groupes de choc sont compromises par de violents tirs d’artillerie lourde.
Les rafales d’obus accablent les fantassins du 109 e de Chaumont, du 282 e de Montargis et du 289 e de Sens, des jeunes recrues qui ne sont pas habituées à ces bombardements violents. Les soldats sont isolés en petits groupes dans les trous. Le ravitaillement ne peut leur arriver sur le plateau détrempé et constamment battu par le canon de Notre-Dame-de-Lorette. Ils n’ont ni eau ni vivres et leurs officiers sont morts. Les bataillons sont réduits à quelques poignées de combattants.
Pourtant l’ordre est donné aux fantassins de Troyes et de Sens de s’emparer le 19 mai de l’éperon de la Blanche-Voye. Heureusement Cadoudal, qui commande la 13 e division d’infanterie, arrête les frais : le terrain est impraticable, les hommes s’y enlisent. Le brouillard empêche les artilleurs de régler leur tir et les aviateurs de sortir. Il est impossible d’enlever les ouvrages de vive force, tant que l’artillerie n’a pas les moyens de les neutraliser. D’Urbal fait le bilan : le corps Pétain a avancé de quatre kilomètres grâce aux légionnaires, aux tirailleurs, aux zouaves de la division marocaine, mais aussi à la brigade alpine de la 77 e division : les meilleures troupes de l’armée. Mais il a été bloqué par la lenteur de l’arrivée des renforts et la violence du feu de représailles ennemi. Le corps Balfourier est arrêté par les ouvrages imprenables du Labyrinthe et du cimetière de Neuville-Saint-Vaast. Le 17 e corps est impuissant à Loos, les 17 e et 10 e corps ont à peine pu sortir leur attaque des tranchées. À quoi bon poursuivre, devant des positions aussi fortes et sous un feu meurtrier d’artillerie ? Est-ce la fin de l’offensive ?
*
On bataille encore jusqu’au 18 juin. Joffre a médité sur les premiers échecs. Les Français se sont aperçus que si les tranchées de première ligne n’étaient que faiblement occupées, elles étaient défendues par d’invisibles nids de mitrailleuses sous casemates tirant sur les flancs. On savait déjà que l’ennemi avait creusé des abris profonds mais on ignorait que les positions de la ligne de défense étaient organisées selon les principes de la guerre de forteresse, sur toutes les faces. Même cernés, les défenseurs pouvaient continuer un combat opiniâtre.
Les boyaux vers l’arrière étaient fortifiés en sapes doubles, protégés par des barbelés, aménagés sur les deux faces en tranchées de tir avec emplacements de mitrailleuses. Ils étaient autant de lignes fortifiées. Dans les villages, les Allemands bétonnaient les voûtes des caves et communiquaient d’une cave à l’autre. La destruction de ces points forts devait être réalisée par l’artillerie lourde si l’on voulait que l’infanterie attaque sur un front large et profond, poussant ses réserves pour bénéficier aussitôt d’un avantage.
Comment les fantassins auraient-ils pu prendre et se maintenir dans ces réseaux de forteresses, sans disposer de moyens supérieurs à ceux de l’ennemi ? Pourtant on persiste. On envoie d’autres troupes et le fortin de la Blanche-Voye est pris. On donne l’ordre à Pétain de progresser malgré l’insuffisance de son artillerie. Une lutte acharnée se poursuit dans le Labyrinthe, sur le plateau de Notre-Dame-de-Lorette, à Neuville-Saint-Vaast. Les troupes d’assaut sont constamment relevées et remplacées, quand leurs pertes excèdent 50 %.
Enfin le répit s’annonce. Pétain demande quinze jours de délai pour reprendre l’opération. Tous les chefs de
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