Les Poilus (La France sacrifiée)
corps le suivent. Il faut bien organiser les relèves et creuser de nouvelles parallèles, attendre aussi les munitions d’artillerie. D’Urbal, qui veut aller plus vite, leur donne comme point limite le 31 mai. Pendant dix-huit jours la seconde partie de l’offensive de l’Artois va se dérouler dans des conditions tout aussi incertaines, malgré la montée en ligne des réserves. Les Anglais ne peuvent plus soutenir l’offensive, faute de munitions. Ils acceptent seulement de relever une division française devant Loos.
Joffre demande à Millerand, dès le 30 mai, le renforcement des unités britanniques sur le front. 58 ont été levées par lord Kitchener. 21 seulement sont en France. On peut doubler ce total, ce qui permettra de résister au reflux des unités allemandes en France, après les succès qu’elles ont remportés sur le front russe. Il n’est plus question de bouder le concours anglais. Il est désormais certain que la rupture ne peut provenir « que d’une attaque combinée de plusieurs armées » et non d’un « front unique ».
La supériorité des effectifs allemands est établie par une note du 31 mai du 2 e bureau de l’état-major de la I re armée. On y parle sans sourciller de la « consommation en hommes » qui oblige les Allemands à renforcer leurs unités de premier échelon (les 870 000 hommes du service actif et les 1 180 000 hommes réservistes des cinq premières classes, de 23 à 28 ans) de la Landwehr comportant deux bans : le premier, de 970 000 hommes de 28 à 35 ans, et le second d’un million d’hommes de 35 à 39 ans, et l’état-major impérial dispose en outre d’une masse d’ersatz-réservistes : 900 000 hommes de 17 à 45 ans. Au total, un réservoir immense de 4 900 000 hommes, au lieu de 3 500 000 pour les Français, permettant d’engager 97 corps d’armée sur tous les fronts, avec 11 divisions de cavalerie. Les Allemands ont même mobilisé ceux de la Landsturm âgés de 39 à 45 ans. Ils envisagent de ramener du front de l’Est 17 divisions. Il faut avoir ces chiffres présents à l’esprit pour rationaliser la « consommation d’hommes » désormais prise en compte, au jour le jour, par l’état-major français, au même titre que celle des chevaux, des obus et des balles.
Joffre manque de tout, veut consommer plus qu’on ne peut produire. Il demande que l’on force la fabrication des canons lourds de 220, seuls capables de percer le béton des casemates de mitrailleuses de la ligne fortifiée allemande. La X e armée, pour son offensive, ne disposait que de deux batteries de ce calibre. On constate aussi la pénurie en engins de tranchée, mortiers et grenades. Les Allemands, dans leurs attaques, rampent désormais de trou en trou, invisibles, par petits paquets, uniquement armés de grenades qu’ils jettent dans les tranchées où ils font le vide. Chaque compagnie dispose de mille grenades. Il faut s’adapter à cette nouvelle forme de guerre. Dans le Labyrinthe, Berthelot a mené uniquement à la grenade l’offensive vigoureuse de sa 53 e division, consommant 23 000 grenades en trois jours. Il a réussi.
La X e armée attaque de nouveau, en pure perte, le 16 juin, sur toute sa ligne, alors que 50 000 hommes sont déjà perdus. Tous les poilus devront sortir des tranchées. Voici que montent en ligne, à la VI e armée, de nouvelles unités, le 42 e de Belfort, le 292 e de Clermont-Ferrand et la 3 e division coloniale. Encore des unités d’élite, farcies de jeunes recrues. Joffre prévoit, pour aller plus vite et pour la première fois, d’enlever une brigade entière par automobile. Toutes les armées doivent prendre l’offensive, pour empêcher l’ennemi de dégarnir son front au profit de l’Artois.
On a remplacé les divisions détruites en amputant les maigres réserves, mais le matériel n’a pas été sensiblement renforcé. On a seulement envoyé en ligne huit vieux mortiers de siège de 270 à mille obus par pièce. On ne dispose encore que de sept batteries de 220 pour tout le front, et d’un total de quarante-deux mortiers de ce calibre. On se préoccupe seulement de rassembler ce parc attelé ou tracté pour le mettre à la disposition du grand quartier général à la veille d’une attaque, et le porter massivement sur la partie du front concernée. Les pièces étaient jusqu’alors saupoudrées dans toutes les unités.
Les Marocains ont enlevé trois ou quatre lignes de tranchées en accusant des
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