Les Poilus (La France sacrifiée)
faites de sacs de terre, entre Langemarck et la route d’Ypres à Poëlcappelle. Le 2 e bataillon est en première ligne, au contact avec les Canadiens de l’armée britannique. Le 1 er est en liaison, dans la tranchée, avec le 1 er bataillon d’Afrique. Alerté le colonel Mordacq reçoit un appel au téléphone : « d’immenses colonnes de fumée jaunâtre » proviennent des tranchées allemandes. Les tirailleurs suffoquent. Ils veulent abandonner la tranchée.
« La situation n’est pas tenable, explique le commandant Fabry. Les tirailleurs sont pris entre les gaz et un tir de barrage. Les officiers doivent abandonner leurs PC. »
« Partout des fuyards, explique Mordacq, territoriaux, joyeux, tirailleurs, zouaves, artilleurs, sans arme, hagards, la capote enlevée ou largement ouverte, la cravate arrachée, courant comme des fous, allant au hasard, demandant de l’eau à grands cris, crachant le sang, quelques-uns même se roulant à terre en faisant des efforts désespérés pour respirer [54] . » Les survivants — trois cents hommes à peine — se dirigent vers les lignes canadiennes où un sergent algérien reçoit à la fois la Légion d’honneur et la Victoria Cross en prenant le commandement d’un groupe perdu de Canadiens. Ils chargent à la baïonnette des Allemands protégés par des masques. Le régiment a perdu ce jour-là 1 170 hommes.
Les émissions de gaz se poursuivent dans la nuit du 22 au 23, puis le 24 avril. Les Canadiens, puis les Belges sont touchés à leur tour. Les Marocains envoyés à l’assaut sont aveuglés par le chlore et se roulent par terre de douleur. Joffre fait expédier en toute hâte dans le Nord les appareils respiratoires des mineurs de fond et ceux des pompiers de Paris : remède dérisoire. Aucune poudre n’a pu être distribuée en secteur. Les hommes imbibent leur mouchoir d’eau pour se protéger la bouche et le nez. Les yeux sont attaqués. On doit les évacuer. La longue géhenne des aveugles de guerre commence. Les Allemands viennent d’inventer la guerre chimique. Mauvais augure pour l’offensive de l’Artois.
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L’emploi des gaz reste cependant difficile. Les bonbonnes d’acier contenant du chlore liquéfié sous pression de 8 kilos placées à l’avant des tranchées ne permettent pas des émissions d’une durée continue. On relève seulement 469 cas de soldats blessés. Plus de peur que de mal. Mais de part et d’autre les chimistes préparent la deuxième étape des attaques au gaz, celle des obus. Il devient indispensable d’équiper tous les soldats, mais aussi les chevaux, les mulets, les ânes, de masques protecteurs.
Ils ne peuvent intervenir dans l’équipement du poilu lors de l’offensive du 9 mai. Il n’a même pas encore reçu le casque en acier, qui doit faire régresser les blessures au crâne. Par contre, la dotation d’artillerie a considérablement augmenté. Sur ce point au moins, on peut penser que l’état-major a tiré les leçons de l’échec de mars. Le soldat voit avec plaisir défiler les attelages de près de huit cents pièces disposant au départ de cent obus par canon dans le secteur d’attaque ; de quoi faire un beau feu d’artifice. Mais la dotation en moyens lourds n’est pas encore suffisante : seize 155 courts seulement et trente-quatre longs, avec trente obus par jour au maximum et quatre canons de 220 capables de tirer au plus vingt-cinq fois par jour.
Dans ces conditions d’infériorité probable du tir d’artillerie, on compte une fois de plus sur la mobilité des pièces légères et sur la surprise. On recommande donc aux artilleurs de faire leur préparation par étapes deux jours avant sur l’ensemble des organisations, quatre heures seulement avant l’heure H, si toutefois la brume qui noie la butte de Vimy jusqu’à midi permet des reconnaissances précises. Une offensive anglaise sur La Bassée doit accompagner le mouvement en pince des corps d’armée français au nord et au sud d’Arras. Les 21 e et 33 e corps d’armée sont chargés de l’opération, avec le secours de quelques divisions. Joffre précise bien aux chefs de corps que l’attaque générale « nécessite des exécutants persuadés que la guerre de tranchée peut et doit finir ».
Les Allemands sont avertis des préparatifs de l’offensive. Ils attendent patiemment dans leurs abris de deuxième et troisième ligne, dans leur position de défense très élaborée, comportant de
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