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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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un poilu dans une lettre, je croyais avoir la veine de ramasser une boule de pain. C’était la tête d’un boche qui émergeait du sol. »
    Craonne, centre des affrontements incessants, a symbolisé le massacre dans une chanson célèbre [81]  : elle exprime le refus du sacrifice inutile, de l’acharnement sanglant, monstrueux, sans limites, imposé, et qui n’est plus consenti. Le poilu se rebelle. « On abuse de notre volonté et de nos forces », dit l’un d’eux. Il faut admettre que le soldat existe comme personne, qu’il peut mettre cette guerre en question, que l’on doit compter avec lui.
    *
    Le récit de la bataille par les Allemands n’exprime pas moins de lassitude, même sous la plume du « lansquenet » Jünger. En secteur près de Douai, il ne combat pas les Français, mais les Anglais, dans une compagnie où « était tombé devant Reims, à l’automne de 1914, le poète de la Basse-Saxe Hermann Löns, volontaire à près de cinquante ans ». L’armée compte-t-elle, parmi les jeunes recrues de dix-huit ans poussées vers le front, des patriotes de cette nature ?
    Pour le Feldwebel Renn, la baisse de l’aptitude des soldats au combat est dramatique. Sur les recrues qu’il vient d’accueillir pour contre-attaquer sur le front de l’Aisne, très peu savent se servir des mitrailleuses légères et il n’a pas d’instructeurs. Un tiers environ « paraît avoir décampé pendant la route. Le reste est inapte au combat ». Les jeunes gens « pâles et maigres se montrent très maladroits à l’exercice ». Les blessés guéris sortant de l’hôpital ne sont plus aptes à la marche et aux veilles prolongées dans les abris. À la tête de la compagnie, l’officier lui-même ne fait preuve d’aucun zèle. Les nouveaux venus regardent avec horreur des cadavres entassés dans le ravin où l’unité prend position. On décide de les sortir de la tranchée pour les éloigner. Personne ne songe à les enterrer. Ils sont trop.
    Le commandement ignore le tracé exact des lignes devant la montagne Blanche, occupée par les Français. On désigne les lieux, entre chefs de compagnies, sous les noms inconnus sur les cartes de « cabanes des Morts » ou « ravin des Morts ». Si un officier d’état-major parcourait ce secteur, il ne pourrait s’y reconnaître. La rupture avec l’arrière est consommée.
    « Était-ce comme ça en 1914 ? demande un jeune.
    — Certainement non ! Alors il n’y avait pas encore d’hostilité entre le front et l’arrière. Ceux de l’arrière n’ont pas compris la troupe et la troupe a cru savoir tout mieux et n’a plus voulu obéir, parce que c’est à elle qu’on demande les sacrifices. »
    Les Allemands aussi sont las des massacres, même s’ils appartiennent au corps d’élite de la Garde prussienne. Les bruits de négociation de paix commencent à circuler dans leurs rangs. Les unités changent d’affectation, on remplace fréquemment les troupes en secteur pour éviter la démoralisation. Le régiment de Renn est « réduit à sa plus simple expression ». Quelque part sur le front, tout un bataillon a été cerné et fait prisonnier. « On va dissoudre un régiment de réserve pour compléter les effectifs de notre régiment. »
    Les services de renseignements alliés ont des informations sur l’état d’esprit de l’armée allemande après la bataille de l’Aisne. Les désertions ont été nombreuses, en particulier chez les Polonais de la 11 e division de Breslau. Ils se sont rendus par centaines. Les Wurtembourgeois ne sont pas plus sûrs. Ils se sont mutinés dans le Nord, devant Poelcapelle. On les a transportés d’urgence et par force sur le front italien, après l’élimination des meneurs. Les soldats de l’ancien duché danois du Schleswig annexé par Bismarck et ceux du Hanovre comptent cent déserteurs pour une brigade. Les cas d’abandon de première ligne sont nombreux chez les Saxons. Un régiment a lâché pied dans les Flandres. Un autre se débande, sous-officiers en tête, avant une attaque. Une division poméranienne se mutinera pendant l’été de 1917 devant Verdun.
    À cette date, les marins de Wilhelmshaven sont entrés en rébellion contre leurs officiers. Les équipages du Luitpold et du Friedrich der Grosse ont donné « des signes d’insubordination dégénérant en mutinerie », selon l’amiral Scheer. Ils ont été influencés par le discours contre la guerre prononcé au

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