Les Poilus (La France sacrifiée)
qu’« au premier bataillon de la 3 e brigade russe, en Champagne, une scène de désobéissance s’est déjà produite [79] ».
Les responsables politiques sont renseignés par des généraux hostiles au grand état-major. Nivelle, apprenant que Mazel l’a trahi, veut l’éliminer. Le ministre Painlevé le lui refuse, mais lui impose la démission de Mangin le Fonceur, à qui l’on reproche le sacrifice des Noirs. Nivelle doit signifier lui-même son congé à son brillant second, à son camarade de Verdun.
Le pouvoir politique intervient désormais constamment dans les décisions militaires, contrariant toute initiative de Nivelle. Avec 98 000 blessés avoués, et un nombre de morts non révélé, Painlevé et ses amis estiment qu’il faut arrêter l’opération et changer de général en chef. Le bruit court déjà, le 29 avril, que Pétain serait nommé. Si Nivelle n’est pas immédiatement remplacé, c’est pour ménager les Britanniques.
Les 4 et 5 mai, Lloyd George est venu à Paris pour s’assurer que les Français poursuivraient leurs efforts : « Nous subirons certainement des pertes pénibles, dit-il, mais puis- que nous sommes en guerre, nous ne pouvons pas ne pas faire de pertes. » Le Premier ministre anglais a décidé de soutenir le projet d’offensive du général Haig dans les Flandres. Il a grande hâte de libérer Anvers, de s’emparer des bases sous-marines de la côte belge et des hangars de zeppelins. Il fait pression sur Ribot pour obtenir la poursuite de l’offensive. Les Anglais ont attaqué et perdu beaucoup d’hommes pour aider Nivelle. Ils attendent qu’on leur rende la pareille. Painlevé l’admet. Il demande seulement qu’on le laisse mettre en place un nouveau dispositif « scientifique », pour une offensive « à l’économie ». Dans ces circonstances, le 15 mai 1917, Pétain devient officiellement général en chef.
*
Mais l’offensive Nivelle n’a pas été abandonnée pour autant. Au front, les soldats de la X e année, ignorant tout des manœuvres de coulisse, ne s’étonnent nullement, même s’ils s’en indignent, d’être envoyés au casse-pipe. L’attaque est lancée sur tous les fronts, du moulin de Laffaux aux monts de Champagne, à partir du 4 mai, alors que se termine la conférence franco-britannique de Paris. « Je me trouve placé, disait Nivelle, en face d’une situation existante qu’il faut liquider au mieux. »
De nouveau les poilus partent à l’assaut des plateaux maudits autour de Craonne. À l’ouest de Cerny, le 102 e bataillon de chasseurs d’Amiens fond en quelques heures et doit être retiré du front dès la tombée du jour. Les blessés affluent dans les antennes chirurgicales mobiles mises en place par Nivelle mais immédiatement débordées. Un bataillon du 79 e de Neufchâteau avancé jusqu’à la crête du Chemin des Dames perd 450 hommes sur 700.
Personne ne mesure le renforcement des effectifs allemands, effectué de nuit, par des souterrains et boyaux invisibles. On ignore le nombre exact des batteries ennemies et l’emplacement des mitrailleuses qui sortent des cavernes au dernier moment. Le 48 e de Guingamp et le 70 e de Vitré perdent 700 hommes en quelques heures sur le mont Blond. « Ce piton, explique leur général, est truqué à fond. Il a une garnison toute spéciale, dont chaque élément est dressé à un rôle particulier. » Il l’a découvert seulement au moment de l’action, quand tant de bons soldats sont morts. Ce piton n’a nullement été réduit par les tirs pourtant massifs des obusiers géants de 400 et des batteries de 270, faute de repérage suffisant. L’armée Anthoine a, une fois de plus, échoué.
Le 5 mai, les troupes qui repartent à l’assaut du Chemin des Dames ne sont pas mieux renseignées sur le renforcement du dispositif ennemi. À la gauche du dispositif, les cuirassiers à pied de la division Brécart se couvrent de gloire du côté de Laffaux. Leurs officiers, capitaine de Chasteignier, lieutenant Wagner, sous-lieutenant de Carbuccia, sont tués dans l’affaire. Un aspirant de vingt ans, Parisse, tombe à son tour. C’est un maréchal des logis qui continue l’assaut. Au retour de Laffaux, les survivants défilent en présentant les armes à leurs camarades morts : un baroud d’honneur.
Près de 1 000 hommes étaient tombés en deux jours dans ce secteur pour gagner quinze cents mètres de terrain défoncé. Dans la nuit du 5 au 6 mai, les
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