Les Poilus (La France sacrifiée)
de se reprendre », écrit le général Maistre à Franchet d’Esperey. Les autres incidents sont liés aux mouvements des unités au repos dirigées vers le front et qui sont bien décidées à ne plus en découdre.
Ainsi la zone géographique la plus touchée s’étend de Soissons à Auberive et concerne 121 régiments d’infanterie, 23 bataillons de chasseurs, 7 d’infanterie coloniale, autant d’artillerie, un régiment de territoriaux et un bataillon de Somali, dont le commandement abusait, car ses soldats avaient la réputation de voir la nuit comme en plein jour, et d’être des courriers rapides.
68 divisions devenaient indisponibles, les deux tiers des grandes unités de l’armée française étaient neutralisées, même si les cas graves ne portaient que sur 3 427 affaires collectives et individuelles réellement jugées, donnant suite à 554 condamnations à mort, 1 381 à des peines graves et 1 492 à des sanctions moins lourdes.
Les soldats protestaient d’abord contre l’inconséquence des généraux qui les envoyaient constamment à l’assaut sans aucune chance de succès. Ceux du 32 e régiment de Tours-Châtellerault étaient en ligne depuis le 2 mai. Leurs camarades du 3 e bataillon mutinés étaient morts, souvent brûlés au lance-flammes, dans l’attaque du 10 mai dans le secteur du bois des Chevreux, à l’est du Chemin des Dames. Le 13, ils étaient relevés. Pourtant, on annonçait dans les secteurs voisins la fin de l’offensive. Étaient-ils les seuls à attaquer encore ? Ils remontaient en ligne, le 17 mai, au bois des Couleuvres, après quatre jours de repos seulement. Ils ne comprenaient pas pourquoi ils étaient de nouveau envoyés à la mort.
Le 18 e de Pau avait perdu huit cents des siens et presque tous ses officiers en quatre jours de combats incessants, sur le plateau de Craonne. Cité à l’ordre de l’armée, doté de six cents citations, il s’estimait en mesure de porter jugement sur l’offensive. Il était obligé de remonter en ligne parce que les camarades du 162 e régiment (Cambrai, dépôt à Aubusson) avaient refusé d’attaquer. Ce 18 e régiment exemplaire, où combattait le caporal Vincent Moulia, blessé deux fois, deux fois cité pour sa conduite à Craonne, avait insulté les officiers dépêchés pour sa reprise en main, et menacé de prendre le train de Paris pour expliquer la guerre au gouvernement.
Trois soldats avaient été arrêtés, jugés, condamnés à mort et exécutés. Seul Moulia avait échappé en trompant la vigilance des gendarmes. Il avait gagné ses galons de caporal en chargeant lui-même sur ses épaules son capitaine blessé. Il avait reçu la croix de guerre pour avoir capturé à lui seul sept officiers allemands sur le champ de bataille de Craonne. Quatre membres du conseil de guerre avaient demandé pour lui le recours en grâce. Poincaré avait refusé : Vincent Moulia avait giflé un officier [84] !
Même qualité militaire pour ces poilus en révolte du 128 e d’Amiens. Ils avaient attaqué avec vaillance le 4 mai. Après des pertes lourdes, ils étaient descendus au repos. Le 20 mai, ils avaient entendu dire qu’ils étaient destinés à une nouvelle opération, très meurtrière. Ils avaient alors refusé de grimper dans les camions.
D’apparence plus politique était la révolte des soldats des divisions d’Orléans, Saint-Dié et Chaumont qui criaient le 28 mai « à bas la guerre ! » et chantaient L’Internationale en arborant des drapeaux rouges. Le refus d’obéir aux officiers était-il le prélude à la constitution de soviets, comme on le craignait à l’état-major ? Rien de tel. Les soldats au repos dans la région de Soissons voulaient seulement affirmer leur détermination de ne pas remonter au feu.
*
La répression avait fait son œuvre et le calme était revenu devant le déploiement de force des gendarmes et des cavaliers. « Les poilus en ont marre, disait un soldat résigné du 109 e , mais le Boche est toujours là et il ne faudrait pas le laisser passer. » La reprise en main des unités devenait possible, à condition de les éloigner de la zone des combats.
Tout aussi politique pouvait paraître la rébellion de la 41 e division du Jura. Les jeunes recrues et les « récupérés » de l’arrière diffusaient des mots d’ordre révolutionnaires contre la guerre. Mais l’unité, au repos dans le camp de Ville-en-Tardenois, accusait son général, Bulot, d’être
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