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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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de l’état-major. « Nous étions descendus au repos après un mois de tranchée, et après avoir fait l’attaque du 16, explique un poilu dans une de ces milliers de lettres saisies par la censure. Ça fait dix jours seulement et nous remontons ! » Un autre avouait : « Ce qui me fait marcher, c’est la peur du conseil de guerre et l’honneur de ma famille. » Il était indigné de ce repos trop court, dérisoire, après le sacrifice consenti. « Il y a beaucoup de déserteurs, disait-il, ils ne veulent plus remonter aux tranchées. J’ai un cafard du diable et je n’ai plus de force. »
    Ces hommes ne sont pourtant pas des déserteurs. Ils n’abandonnent pas leur unité, ils sont seulement révoltés contre le « casse-pipe ». Le 29 avril 1917, quand le bruit court que l’offensive va reprendre, le 20 e de Marmande, si brave au feu, perd le moral. Deux cents fantassins refusent d’obéir, se cachent dans les bois et dans les creutes. Ils ne veulent pas entendre parler d’un nouvel assaut sur la colline « truquée » du Téton. Trop des leurs y ont laissé la peau. Six sont condamnés à mort. Aucun n’est exécuté. Le régiment de Marmande a été plusieurs fois recomplété et ses briscards arborent la croix de guerre et la médaille militaire.
    Même refus de monter en ligne à la veille de la reprise de l’offensive du 4 mai dans les troupes d’élite de l’infanterie coloniale. La division Sadorge, du 1 er corps de Berdoulat, a perdu des milliers d’hommes autour du moulin de Laffaux. Les régiments de Bourgoin, Bernay et Lille ne sont pas prévus dans l’attaque du 4 mai. Ils se mutinent cependant, car ils savent qu’ils sont tenus en réserve et devront donner à leur tour.
    Les 87 e et 272 e d’Amiens et de Saint-Quentin, dont les dépôts et centres de recrutement sont désormais situés à Quimper et à Morlaix, sont de bonnes troupes qui n’ont pas participé à la première offensive. Ils sont alertés pour l’assaut du 4 mai. Du 2 au 14 mai, les abandons de postes se multiplient dans ces régiments de choc, beaucoup parmi les jeunes de la classe 17. La division de fer de Nancy n’est pas épargnée : le 69 e , régiment d’Essey-les-Nancy, le 2 e bataillon d’élite des chasseurs de Lunéville comptent aussi des mutins, à partir du 2 mai.
    Le refus de monter en ligne n’est pas un refus de la guerre et les « mutins » ne sont ni des déserteurs ni des pacifistes. Ils ont perdu, c’est un fait, la foi dans une percée victorieuse. Les hécatombes se sont succédé, toujours précédées des mêmes promesses : chaque « offensive » se prétendait la dernière. « Je ne crois plus que nous ayons la victoire par les armes après ce que je viens de voir », dit un poilu. La notion d’offensive est à proscrire des calculs de l’état-major. Celle du Chemin des Dames sera la dernière.
    Elle n’a pas été plus meurtrière que celle de la Somme, mais plus ramassée dans le temps, et d’une autre nature. Les nouveaux soldats appelés « bleuets » de la classe 17 n’ont pas souffert, comme ceux de Verdun, d’un incessant et massif bombardement d’artillerie, mais d’une succession de corps à corps acharnés et de combats sanglants à la grenade, au lance-flammes, autour de points précis, toujours les mêmes, équipés en forteresses et soutenant des sièges. La ferme de la Royère et le village de Craonne, la sucrerie ou le mont des Singes ne sont pas de simples positions prises et reprises, comme Fleury sur le champ de bataille de Verdun,   mais de véritables places d’armes, servies par des souterrains, avec des garnisons abritées des obus les plus lourds.
    L’assaut donné à des systèmes défensifs est toujours meurtrier et les combats sont enchevêtrés au point qu’il est impossible d’évacuer les blessés et d’enterrer les morts. « Jamais je n’avais vu de choses aussi atroces », dit un « bleuet ». Le souvenir obsédant des survivants est la brutalité des corps à corps sans quartiers, de l’élimination physique de l’ennemi, par tous les moyens, et de part et d’autre. La sauvagerie des assauts est telle, dans l’odeur repoussante des cadavres d’hommes et de chevaux croupissant dans les ravins et les creutes, que le Chemin des Dames a donné de la guerre une image particulièrement insupportable, celle de la proximité de la mort, de sa présence incontournable. « Au petit jour, dans le boyau, explique

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