Les Poilus (La France sacrifiée)
Reichstag par Erzberger. Cinq mutins sont condamnés à mort et exécutés. Ils mettaient en question la poursuite de la guerre.
L’échec de la guerre sous-marine était alors manifeste. Pouvait-on encore espérer l’emporter par les armes ? Le catholique Erzberger avait demandé à ses collègues de se rallier à la formule : « Nous sommes prêts à faire la paix sur la base de 1914. »
Les morts du Chemin des Dames n’étaient pas pour rien dans cette évolution des esprits, au front comme à l’arrière. Les tués, blessés ou disparus dans l’armée allemande étaient de 163 000 et 39 000 prisonniers. Hindenburg avait dû organiser vers le front très menacé entre Berry-au-Bac et Craonne une noria des divisions, faire appel aux réserves.
Ludendorff, aux prises avec ses propres problèmes de discipline, relativement restreints et facilement résolus, ne pouvait pas croire les récits des prisonniers évadés qui racontaient les mutineries. Dans les lignes, les artilleurs bombardaient constamment les tranchées allemandes et les poilus se défendaient vivement dans les assauts. « Il se produisit, écrit Ludendorff [82] , des mutineries dont nous ne recevions que de faibles échos. C’est seulement plus tard que nous vîmes clair. »
Le quartier-maître général n’avait aucune envie de publier les rares informations venues du front français, de crainte d’une contagion dans les rangs feldgrau. La censure aux armées avait reçu une note du 7 juin du ministre de la Guerre Painlevé interdisant de donner le moindre détail sur les mutineries. Peu de renseignements filtraient dans la presse allemande. Et pourtant le Landauer Anzeiger affirmait le 30 juin 1917 : « Les 36 e , 129 e et 74 e régiments d’infanterie auraient refusé d’aller aux tranchées. Des cris séditieux ont été poussés à Soissons. »
L’information était parfaitement exacte : trois régiments de la 5 e division du général de Roig-Bourdeville, ceux de Caen, Le Havre et Rouen, étaient entrés en rébellion dans la région de Soissons les 30 et 31 mai. Les soldats avaient crié « à bas la guerre ! ». Le journal allemand publiait un peu tard un renseignement dont il ne précisait pas la source. Le commandement et l’opinion allemande avaient ignoré l’ampleur du mouvement.
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Depuis la fin de l’offensive, les abandons de poste se multiplient dans les unités qui ont participé à l’assaut, mais aussi dans celles qui doivent monter en secteur pour les relever. Il semble que les mutins ne redoutent plus la justice militaire. Tout leur paraît préférable au casse-pipe. Le mouvement est spontané, irraisonné, fondé sur une protestation qui gagne, de proche en proche, de secteur en secteur, les lignes tout entières, contre la guerre telle que la pratiquent les généraux.
Pourtant la justice a frappé durement depuis le début des hostilités. Le 10 août 1914, une simple circulaire du ministère autorisait la traduction immédiate des mutins ou des déserteurs devant un conseil de guerre « si la répression immédiate est nécessaire et s’il n’existe aucun doute sur la culpabilité ».
Le 11 octobre 1914, le général Joffre précisait encore, pour éviter la généralisation des recours en grâce toujours possibles : « L’exécution sans délai est la règle » pour les conseils de guerre spéciaux, à composition restreinte et à procédure simplifiée institués le 9 septembre. Ces conseils s’appelaient aussi cours martiales. Ils pouvaient être désignés à hauteur d’un simple bataillon et jugeaient en flagrant délit, sans recours ni pourvoi.
Cette procédure ultra-sévère répondait alors à l’inquiétude de Joffre sur le grand nombre des désertions en septembre 1914. Si sévère, et couvrant sans doute tant d’abus, qu’une circulaire du 15 janvier imposait, au besoin par télégramme en cas d’urgence, l’examen du dossier par le président de la République. Il est dit alors que le conseil de guerre normal de division doit rester le « juge ordinaire ».
Depuis lors, la législation s’était assouplie, offrant des garanties aux soldats. Ils seraient défendus par un avocat. Les conseils de guerre spéciaux seraient supprimés en mai 1916. Enfin les généraux pourraient surseoir aux exécutions. Le 3 octobre 1916, la loi Meunier rétablissait le recours en grâce et décidait qu’il suspendait ipso facto l’exécution. Ainsi les mutins de 1917
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