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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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batteries lourdes : il n’est question que d’établir des « champs de bataille en profondeur », selon les instructions de Pétain, pour accueillir les troupes d’assaut ennemies et les empêcher de percer. Les Allemands luttent contre ces aménagements en bombardant de nuit avec leur nouveau gaz, l’ypérite, aux obus marqués d’une croix jaune.
    Le 26 e régiment de la division de fer a subi déjà une de ces attaques, le 1 er juillet à 1 h 15 du matin, dans la Woëvre. L’émission avait été signalée, les masques étaient en place. Personne ne manquait à l’appel en première ligne. Pourtant « beaucoup tombent bientôt, suffoquant, râlant, secoués par d’horribles convulsions. Les postes de secours se remplissent. Bientôt, tout autour, c’est un alignement de corps gisant à terre, inanimés ».
    Les pertes ? 400 touchés, dont 120 sont morts. Les masques des travailleurs des tranchées avaient été souvent endommagés par les branches, les ronces, les barbelés. D’autres soulevaient leur masque pour mieux ajuster leur tir. La protection était illusoire, elle ne résistait pas à un bombardement lourd et insistant.
    Le régiment devait être encore soumis au gaz moutarde dans les lignes de Verdun, en janvier 1918. Il creusait des fortifications pour une deuxième position dans les bois de l’Argonne, puis à Haudremont. En trois jours, la position était organisée en profondeur grâce à l’ardeur des poilus. Mais, le 16 février, les Allemands avaient décidé de rendre les travaux impossibles en bombardant avec des obus à croix jaune.
    Pendant cinquante-deux jours et autant de nuits, les soldats du 26 e avaient dû vivre, travailler, accomplir les corvées, le masque sur le nez et les yeux. Leurs cagnas étaient percées de trous par où le gaz s’infiltrait. Le ravin du Prêtre était devenu irrespirable. Le gaz stagnait, imposant le port du masque sans répit. Les pertes avaient été très élevées. Dans les secteurs soumis aux attaques au gaz, les hommes ne pouvaient rester longtemps en position. Le régiment de Nancy fut changé de secteur. Il ne rejoindrait les lignes que longtemps plus tard.
    *
    Pétain raisonnait sur les pourcentages fournis par le colonel Zopf, chef des « affaires spéciales », chargées de sonder le moral de l’armée. À la veille de l’offensive allemande, il voulait savoir quel était l’état des troupes affectées en mai-juin 1917 par les mutineries. Tiendraient-elles ?
    Ce rapport était décevant. Établi sur 1 059 unités, il faisait ressortir que le moral était bon dans un quart des régiments, et seulement acceptable dans 71 % des unités. Il restait 5 % de troupes franchement médiocres, qui pouvaient flancher à la moindre alerte. Une minorité des poilus interrogés estimait que l’arrivée des Américains pouvait changer la donne de la guerre. Tous les autres, soit 84 %, pensaient comme le soldat René que « nos braves Américains se mettraient en route quand il ne serait plus temps », même s’ils n’étaient pas pessimistes au point de s’attendre à « être obligé de faire la paix aux conditions de l’Allemagne ».
    Les soldats se plaignaient de tout, du gel, du froid, de l’absence de charbon et de lumière dans les cantonnements, de la nourriture exécrable, viande avariée et pain moisi, des pommes de terre cueillies avant maturation, des conserves pourries, des profits scandaleux des mercantis. Ils se réjouissaient de l’amélioration du système des permissions et ne s’intéressaient nullement au jeu politique de l’arrière (1 % seulement évoquent le Parlement, et 10% sont touchés, sinon atteints par la propagande pacifiste). Ils demandaient tous des sanctions (à 86 %) dans les affaires de scandales politiques et de trahisons, ce qui comblait d’aise Clemenceau. Au prix d’une épuration ferme de l’arrière, concluait-il en lisant ce rapport, on pouvait redonner confiance au front.
    Il était plus difficile de combler les vides dans les lignes. Il manquait 70 000 hommes. Clemenceau avait autorisé Pétain à lever les jeunes de la classe 1918 à condition qu’ils ne montent pas tout de suite en secteur. En fait, ils seraient très vite intégrés aux « détachements de renforts », même si Clemenceau avait affirmé sa volonté d’expédier au front avant eux les réformés récupérés et les exemptés. Il avait le souci d’imposer sans faiblesse l’égalité devant la mort,

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