Les Poilus (La France sacrifiée)
entraînant avec soin l’infanterie aux formes nouvelles du combat. On cherche fébrilement dans les unités des spécialistes à instruire, des caporaux et des sergents à désigner, même si, à vingt ans tout juste, comme Louis Masgelier, ils doivent commander à de vieux briscards. Et d’envoyer immédiatement au feu des promotions entières de normaliens, polytechniciens, centraliens, toute l’élite d’un pays qui doit donner l’exemple, et commander, à vingt ans, des batteries et des bataillons. Plus que jamais la bataille en gestation exigera le sacrifice des jeunes. Comme en 1914.
Du moins peut-on compter sur le secours des Alliés, ne pas opposer une malheureuse classe de 180 000 conscrits aux 500 000 levés outre-Rhin. L’accord avec les Britanniques a permis de retirer deux grandes unités françaises du front : les fantassins de la I re armée de Debeney sont à l’entraînement, dans une masse de réserves instruites, tout comme les bataillons exténués de la III e armée d’Humbert, mis en réserve dans la région de Clermont-sur-Oise pour aider éventuellement les Anglais. Pétain leur a « prêté » 12 000 travailleurs italiens et des régiments de la territoriale pour les aider à se renforcer autour de Péronne. Mais le principe du commandement unique n’est pas encore reçu par le maréchal Douglas Haig. Foch vient d’échouer dans sa tentative de création d’une réserve générale franco-britannique. Il n’existe pas d’« organe d’entente ».
Les soldats du front comprennent qu’ils auront les Allemands sur le poil avant peu. Les discussions théoriques des états-majors leur importent peu. Pétain est pour eux un rempart contre les Debeney, les Micheler, les Duchêne, les Foch qui désapprouvent la nouvelle tactique et recommandent de « se faire tuer sur place » à la manière de Joffre sur la Marne.
« Je ne songe pas à remplacer Pétain, dit Clemenceau à Poincaré. Il a toujours la cote. Et puis, je ne sais qui pourrait lui succéder. Je tiens à le garder. »
Pourtant le général en chef s’obstine dans une erreur d’appréciation sur l’axe de la future offensive allemande. Il s’attend à une attaque en Champagne et dispose ses réserves dans cette hypothèse. Viendra-t-il à la rescousse si les Allemands attaquent l’armée britannique dans le Nord ? Ses rapports tendus avec Haig laissent présager du tirage en cas de difficulté, et il paraît certain que le maréchal britannique ne déplacera ses six divisions de réserve au secours des Français que s’il n’est pas lui-même en danger.
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C’est l’armée anglaise que Ludendorff a choisi de frapper massivement, en priorité, exactement à la charnière franco-britannique, précisément pour diviser les Alliés. « L’offensive de la paix » est pour lui la dernière, elle doit être décisive, entraîner d’immédiates conséquences politiques.
Les unités venues de l’Est se sont entendu répéter cent fois par les officiers qu’elles ne feraient qu’une bouchée de l’armée anglaise. Les jeunes formés dans les camps de Stosstruppen d’Alsace et du Palatinat apprennent avec enthousiasme la technique de rupture du front enseignée par les anciens. Des dizaines de divisions d’assaut débarquent depuis cinq ou six semaines, au début de mars, dans les gares de la région de Saint-Quentin, ayant transité par Bruxelles et Metz. Les granges, les villages en ruine, les Stollen de la ligne Hindenburg abritent les bataillons qui ne se montrent pas de jour. Les divisions peuvent marcher sous la lune. La reconnaissance aérienne de nuit n’existe pas alors.
Ceux qui attendent l’assaut n’ont pas tenu des secteurs de tranchée à l’ouest. Ils viennent souvent de très loin : les grenadiers de la 371 e division Ersatz ont embarqué au début de févier en Galicie polonaise. Leur train a été dirigé sur Brest-Litovsk et Varsovie, avant de gagner l’Ouest par Leipzig et Cassel. Ils ont suivi la ligne de Coblence, Trêves et Thionville, puis le chemin de fer stratégique, encombré de convois d’artillerie, de Sedan, Hirson, Valenciennes et Tournai jusqu’à Ascq, près de Lille. Épuisés par une semaine de voyage en wagons à bestiaux, ils ont été aussitôt mis en réserve à l’arrière du front. Les grenadiers et les voltigeurs prussiens de la 101 e division, mieux traités et instruits longuement dans les camps de la Warthe et de Neuhammer, entraînés aux
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