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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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l’Est et 4 d’Italie. Elles étaient complétées par des unités formées de jeunes recrues de la classe 1919, pour la moitié au moins des renforts.
    Le train et l’artillerie absorbaient une part de plus en plus importante des effectifs : l’armée allemande disposait de 40 000 véhicules en service, sans compter les tracteurs et les avions. La force de frappe de Ludendorff : les 8 000 canons lourds capables de s’aligner en quelques heures sur les emplacements d’une offensive, montés sur des wagons spéciaux conçus spécialement par Krupp. Le grand état-major disposait à la fois du nombre et de la qualité. Pouvait-il aussi compter, au jour de l’an 1918, sur le moral ?
    *
    « On se bat avec confiance, assure Jünger engagé dans la dernière campagne, mais sans rien attendre, sans espoir et uniquement par devoir. » Les visées stratégiques de l’état-major, les buts de guerre impérialistes ne touchent nullement le soldat, encore moins la jeune recrue. Les vingt conscrits du Klosterberg décrits par Erich Maria Remarque [91] se mettent à haïr leur professeur, Kantorek, qui les avait conduits au bureau de recrutement en leur disant : « Vous êtes la jeunesse de fer. » Sur les cent cinquante hommes de la compagnie de Remarque, quatre-vingts seulement devaient survivre au premier engagement. « Des enfants anémiques qui ont besoin d’être ménagés », disait-il, des « troupes fraîches » qui renflouaient les unités, « qui ne peuvent porter le sac, mais qui savent mourir, par milliers. Ils ne comprennent rien à la guerre, ils ne savent qu’aller de l’avant, et se laisser canarder ».
    « Le soldat allemand n’est plus ce qu’il était », dit Ludendorff. À l’arrière, aux étapes, c’est la désagrégation du moral. Les vieilles troupes grognent, traînent des pieds ; les jeunes n’y croient plus, saluent à peine les officiers. Les discours officiels du Kaiser ou du Kronprinz ne laissent plus aucune trace dans ces jeunes cervelles exténuées par le port du lourd casque de fer, pas la moindre étincelle d’ardeur guerrière sur ces visages cachés par les masques à gaz :
    « La paix, ça ne sert à rien d’y penser », dit le soldat Beumelburg, en octobre 1917, sur le front français [92] . « Comment peut-on le savoir et au fond, en quoi cela regarde-t-il chacun ? »… Aucun gradé ne peut rien pour la paix. « Sait-on même comment cela a commencé ? Cela continue, toujours de même, et le mieux est de n’y pas penser. »
    La vie au front est rythmée, selon des normes précises ; trois jours de première ligne, trois en soutien, et trois en réserve. Le temps s’écoule ainsi, avec, tous les jours, le réveil parfaitement inutile du « tir de barrage ». Les Feldgrau dont la capote rapiécée n’a plus de couleur sont assis dans la tranchée « comme des poulets ficelés ».
    Le soldat de 1917 n’a rien de commun avec le porteur de casque à pointe de 1914. Il est « singulier et silencieux », c’est un « spécialiste du champ de bataille », il reconnaît tout, jusqu’au moindre bruit. Son nez renifle toutes les odeurs « du chlore, des gaz, de la poudre, des cadavres, avec toutes les nuances ». Il sait utiliser toutes les armes de tranchée, même les fusils antichars, servis à deux, capables de percer une carapace avec une balle à noyau d’acier. Il porte au cou, en permanence, car sa vie en dépend, un « pot singulier semblable à un herbier de botaniste, son masque à gaz ». Mal nourri, indescriptiblement sale, « la mort elle-même ne le tire pas de son calme ; elle est trop près de lui, à tu et à toi avec tous les camarades ».
    Pour Ludwig Renn, il devient de plus en plus difficile de rassembler les réservistes au jour dit dans les casernes de départ. Cela fait partie des « signes extérieurs de dissolution ». Les nouvelles troupes n’ont aucune idée du « métier du champ de bataille », il aperçoit des compagnies de jeunes « déployés comme à l’exercice, le fusil en joue ». Il doit expliquer qu’on ne trace plus de tranchées au cordeau depuis longtemps au front : on se contente de relier entre eux des entonnoirs, « aussi irrégulièrement que possible ».
    Les jeunes n’ont pas le réflexe de solidarité des hommes du front. Un obus tombe sur une roulante, éclaboussant les blessés de soupe brûlante. Personne ne songe à leur porter secours. Le feldwebel doit

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