Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
Vom Netzwerk:
même combat, ceux d’août 1914 et ceux de juillet 1918. Ils avaient appris à lutter contre les gaz, les grenades, les mortiers de tranchées. Ils s’étaient entraînés à progresser derrière les chars d’infanterie, à correspondre par radio avec les artilleurs de l’avant, qui recevaient eux-mêmes les messages des aviateurs. Le poilu en bleu horizon était déjà devenu ce combattant de la guerre moderne, utilisant, selon les prédictions de J ü nger, les découvertes de la technique pour un combat plus efficace. Les grenadiers oubliés avaient ressurgi du passé, avec les mitrailleurs, les éclaireurs, les aviateurs et les tankistes. L’image d’Épinal du poilu dans la tranchée doit être corrigée, enrichie de tous les aspects changeants du combat, au cours d’une aussi longue guerre.
    *
    Le caractère moderne du conflit s’était immédiatement affirmé, dès 1914, dans le désastre des batailles de frontière : on avait alors découvert, du côté français, la violence destructrice du feu des mitrailleuses et des canons, et de la nature des projectiles utilisés. Les soldats américains devaient à leur tour faire l’expérience en 1918 au bois Belleau, pendant la seconde bataille de la Marne, des effets de ce feu meurtrier dont ils n’avaient pas l’idée en débarquant en France, parce qu’il était sans rapport avec la capacité de destruction des armées pendant la guerre de Sécession.
    L’héroïsation des combattants par l’arrière, la mobilisation pour soigner les blessés font oublier les pertes par simple maladie, considérables. Celles de la grippe espagnole en 1918 équivalent à la destruction de deux divisions. La boue humide des automnes glacés, le froid d’hiver, les chaud et froid d’été sur le front d’Orient submergent les antennes du service de santé et obligent à renvoyer les hommes incapables de combattre à l’arrière pour y soigner les pneumonies, les tuberculoses, les maladies vénériennes, sans oublier le typhus. 14 % des soldats recueillis dans les hôpitaux sont morts de maladie. La proportion est plus forte dans l’armée d’Orient, où le paludisme et la dengue ont décimé les unités.
    Seuls les organismes les plus robustes pouvaient survivre à cette vie de plein air, dans des conditions d’inconfort total. La vie dans les tranchées doit être décrite comme une survie : comment les hommes ont-ils pu s’enterrer pendant de longs mois sans périr ? Comment les organismes des individus urbanisés, habitués à la protection sociale des populations, à l’eau courante, au gaz qui ne tue pas, à la surchauffe des bureaux et des habitations ont-ils pu s’adapter brusquement à ce retour à la vie animale, celle des taupes, des renards et des rats, caractéristique de la situation des hommes en ligne ?
    Ces conditions de survie sont parfaitement connues des familles de l’arrière : quand un poilu rentre du front, ses vêtements sont immédiatement mis à bouillir par les femmes dans d’immenses lessiveuses de fer-blanc chauffées en plein air sur des braseros. Il faut tuer la « vermine ». Rituel de purification collective auquel tous les villages de France ont sacrifié pendant quatre ans. Il en est un autre, plus pénible : le passage de gendarmes annonçant les morts. On les suit à la trace, d’une rue à l’autre, derrière les persiennes. Où vont-ils s’arrêter ?
    La survie, la mort, l’oubli. Les combattants ne se comprennent qu’entre eux, parce qu’ils ont vécu l’indicible. Seuls les très grands écrivains, Genevoix, Dorgelès, J ü nger, Remarque, ont pu reconstituer avec des mots la peur viscérale, celle qui fait revenir au cri originel, quand tombe l’apocalypse qui précède les grandes offensives.
    Oublier ces peurs paniques, les refouler au plus profond de l’âme. Les corps ne sont plus des objectifs, sauf pour les tireurs d’élite du petit matin, ils sont la matière première sanglante de la guerre, celle qui justifie la forte consommation d’obus et de balles de mitrailleuses. Ils sont compris dans les statistiques de la guerre industrielle, au même titre que les matières premières stratégiques. Il faut se procurer à tout prix des hommes et des chevaux.
    Le refus, la révolte, l’abandon de poste ? Ils sont presque impossibles dans l’encadrement de la guerre par les états-majors et les effectifs de gendarmerie présents à l’arrière immédiat du front. La répression,

Weitere Kostenlose Bücher