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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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reste que les combats de la Première Guerre mondiale ont exhibé la brutalité jusqu’au-boutiste de la guerre « nationale », même si les moyens de destruction massive débordaient très largement, et dès le départ, l’emploi des armes blanches. La « brutalisation » va beaucoup plus loin que la simple horreur des corps à corps de tranchées. Elle tient au fait que l’on estime indispensable et comme inévitable l’ensevelissement, l’anéantissement, la défiguration, la déshumanisation de millions d’hommes sous un déluge de feu.
    Encore reste-t-il à poser la question essentielle : pourquoi ce sacrifice quotidien est-il accepté si longtemps par les combattants et les nations ? La simple « culture de guerre » n’explique pas la fixation française, et allemande, sur l’Alsace et la Lorraine. Il faut aussi évoquer l’impérialisme de ce temps, et la croyance forcenée des responsables à la nécessité d’asseoir la puissance d’une nation sur la possession du sol et du sous-sol, qui donne curieusement aux guerres un aspect national dans leur aspect défensif, parfaitement assimilable par la propagande, mais aussi un revers mercantile, remontant à une culture beaucoup plus ancienne, celle de la guerre qui rapporte, celle de Frédéric II et de Colbert.
    Pour les masses, le massacre est justifié par la menace contre la nation encerclée (l’Allemagne) ou amputée (la France). Pour les élites de l’industrie allemande, des armateurs de Hambourg, des constructeurs anglais de superdreadnoughts et du comité des Forges, la guerre doit rapporter des marchés et des territoires et le vaincu doit payer le vainqueur. Que les masses accusent des millions de morts dans ces affrontements ne conduit pas à un renoncement au principe constitutif de base des États modernes.
    Il faut comprendre que cette culture ne peut se réduire au pangermanisme ou au nationalisme français, elle repose sur la transformation, la perversion pourrait-on dire, sous l’effet de la révolution industrielle, de la nation en Empire. La nation a des intérêts (le fer, le charbon, le pétrole, la potasse, mais aussi le blé, ou pour les États-Unis, le coton) qu’elle doit défendre et accroître aux dépens des autres nations, sous peine de disparaître. Pas un ministre anglais, français ou allemand des années d’avant et après la Première Guerre mondiale ne pense autrement. Le pavillon est un casus belli, pas seulement sur l’Atlantique mais au Congo, au Maroc comme en Alsace ou en Silésie. Il marque la terre. Sous ses plis, Français et Allemands doivent mourir.
    L’évolution vers le massacre industriel ne tarde pas à s’affirmer au cours des batailles. Les états-majors sont constamment entraînés vers la recherche d’armements plus meurtriers, capables de leur assurer la supériorité sur le champ de bataille par la destruction de l’ennemi, et non par les manœuvres stratégiques enseignées dans les écoles de guerre qui, dans l’esprit des stratèges, étaient destinées à conclure la guerre au prix d’un minimum de pertes.
    Ils sont ainsi conduits à associer étroitement l’industrie et la nation tout entière dans l’effort de guerre. Dès lors qu’elle se prolonge, il faut la poursuivre jusqu’à son terme. Aucun état-major n’envisage jamais la recherche d’une paix blanche, d’une trêve laissant la place à des négociations. Ludendorff ne se résout à demander l’armistice qu’au dernier moment, quand il est assuré de sa défaite à terme et qu’il veut la faire endosser par les civils.
    Cet enchaînement modifie profondément la nature des combats et le sort des combattants. Il est vrai que le « poilu » de 1915 n’est déjà plus que le frère cadet du combattant en pantalon rouge de 1914. Celui-ci attaque volontiers « à la baïonnette », selon les préceptes de l’École de guerre française. Mais il meurt déjà en grappes sans avoir vu l’ennemi. S’il creuse des tranchées, elles sont très provisoires, car les marches et les contremarches sont incessantes, en Alsace, puis en Lorraine, dans le Nord, de Charleroi à la Marne, enfin vers la mer. Ces premiers soldats de la guerre, qui tombent dans les rangs français à raison de 60 000 en moyenne par mois, laisseront 360 000 des leurs dans les cimetières et fosses communes, tués le plus souvent, dans les mois terribles de 1914, par les éclats d’obus et les balles de mitrailleuses.
    Les poilus

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