Les Poilus (La France sacrifiée)
assez fort pour le porter, s’est rallié à la doctrine de l’offensive, à la mode dans les cercles. Chef du bureau des opérations à l’état-major, Grandmaison estime qu’il ne faut pas « subir la volonté de l’adversaire ».
Le règlement nouveau préconisant l’offensive ne sort dans les corps qu’en 1914. Il n’a pas eu le temps d’être répété dans les manœuvres. Dès 1913, pourtant, il est précisé que l’infanterie doit « agir par le mouvement et par le feu. Seul le mouvement en avant poussé jusqu’au corps à corps est décisif et irrésistible […] La baïonnette est l’amie suprême du fantassin ». La section d’infanterie, composée de soixante hommes et commandée par un lieutenant, « marche à l’assaut au pas de course, au commandement de “en avant, à la baïonnette !” du chef de section, répété par tous ». L’officier doit participer à l’assaut devant ses troupes, comme à Austerlitz. « Chaque tirailleur doit tenir à honneur de triompher du plus grand nombre d’adversaires possible et la lutte se poursuit à l’arme blanche avec la plus farouche énergie jusqu’à ce que le dernier combattant ennemi soit hors de combat, ait mis bas les armes, ou ait foi. » Telle est la version la plus récente du règlement de la guerre de masses, pratiquée déjà en 1793 lors de l’attaque des colonnes de demi-brigades, quand la France était, de loin, le pays le plus peuplé d’Europe.
Cette mystique de l’offensive est aussi celle des Allemands. Ils l’accompagnent d’une montée en ligne, aussi près que possible du front, de l’artillerie lourde et de la présence au premier rang des mitrailleuses meurtrières. Les officiers français disposeraient d’un aussi grand nombre de ces précieux engins, mais, craignant qu’ils ne soient détruits aux premières canonnades, ils les tiendraient en seconde position. On en compte cinq mille dans chaque camp, et les guerres récentes des Balkans ont montré ce que leur feu pouvait avoir d’exterminateur. Une section de mitrailleuses accompagne toujours les quatre sections des quatre compagnies qui composent le bataillon. Trois bataillons par régiment, deux régiments par brigade, deux brigades par division, deux divisions par corps d’armée.
La tactique de l’infanterie domine tout. Seules les grandes unités sont dotées de renforts de cavalerie et d’artillerie ; les quatorze mille hommes de la division peuvent compter sur les secours d’un escadron de cavalerie et des 36 pièces de 75 réparties en quatre batteries. Le corps d’armée dispose d’un régiment de cavalerie à quatre escadrons, de quatre bataillons d’infanterie en réserve, de douze batteries de 75 et de trois compagnies du génie. Mais des divisions entières de cavalerie sont à la disposition de l’état-major, ainsi qu’une réserve d’infanterie et d’artillerie.
Les cavaliers reçoivent des ordres très voisins des fantassins, tout aussi anachroniques, puisque le règlement de 1913 prévoit « l’attaque à cheval et à l’arme blanche, mode d’action principale ». Les divisions de dragons ou de cuirassiers ne disposent que d’un nombre très restreint de voiturettes à mitrailleuses. Elles vont être pourtant engagées dans la bataille, après la victoire de la Marne, avec des objectifs stratégiques de première importance, sans avoir les moyens techniques de les assumer.
Le règlement impose aux hommes comme aux officiers « une obéissance entière et une soumission de tous les instants ». Pas question de laisser un capitaine apprécier seul la situation. Il doit, d’abord, obéir aux ordres, et se faire tuer le cas échéant. Le règlement français ne fait pas confiance aux cadres de l’armée. Il ne suit pas l’évolution qui s’est affirmée dès 1906 dans le camp allemand : « Dans de nombreux cas, disait outre-Rhin le règlement d’infanterie, où le subordonné doit admettre que celui qui a donné des ordres ne pouvait suffisamment connaître les circonstances présentes et où l’ordre s’avère dépassé par l’événement, le devoir du subordonné consiste soit à ne pas exécuter les ordres reçus, soit à les modifier en en rendant compte. » Pas question de faire sentir aux gradés français ce que les officiers prussiens appellent extatiquement « la joie de la responsabilité ». Ils sont seulement tenus d’obéir.
L’armée française manque en effet de cadres
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