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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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Les maires ont tout fait pour obtenir des garnisons à Mende, Carcassonne, Lodève, Rodez, Bergerac, Montélimar et Montauban où se rassemblent les réservistes du 11 e régiment. Il n’est pas étonnant que les populations urbaines soient présentes pour le grand départ. Elles reconnaissent leurs soldats qui partent au front derrière la clique et le drapeau. Ils sont les enfants du pays.
    Les femmes donnent à boire aux soldats sur le parcours. Et toujours la même question, que chacun se pose sans oser la formuler : reviendront-ils ? Le capitaine Rimbault, officier d’infanterie à Bourges, ne dissimule pas ses sentiments. Samedi, jour de marché, les paysans sont venus de tous les villages « embrasser leurs enfants pour la dernière fois. C’est drôle, tout ce monde-là est recueilli et triste ». Le long du chemin vers la gare, il rencontre des femmes en larmes. La foule est de plusieurs milliers de personnes, elle applaudit au discours patriotique du colonel.
    Le « Royal Berry », habillé de neuf, fier de ses cuirs étincelants au soleil et de sa clique pimpante, défile au pas cadencé. Les Berrichons peuvent compter à l’aise les soixante attelages d’accompagnement. Les femmes ont accroché des bouquets aux portières des wagons. Le convoi suit d’autres trains militaires, qui viennent du Limousin et du Midi.
    Édouard Deverin, de la compagnie cycliste du fort de Noisy-le-Sec, n’a pas droit à un départ aussi grandiose. Il a le temps de griller des « consolantes » avant d’embarquer, de nuit, presque clandestinement, à la gare du Bourget. Les vélos sont hissés sur un truck, les hommes entassés sur la paille d’un wagon à bestiaux. Pour eux, pas de départ en fanfare. La garnison de Paris gagne le front sans flonflons.
    Les réservistes des régiments de cavalerie ne sont pas mieux traités que les cyclistes. Le hussard Honoré Coudray est déjà gagné par la vermine quand il choisit son cheval pour partir à la guerre. Ni les hommes ni les animaux n’ont d’eau courante. Les hussards « ne sont ni tristes ni joyeux, on les a appelés, ils sont venus ». Beaucoup étalent les regrets, la situation perdue, le commerce fermé. Ils pleurent dans les mouchoirs à carreaux que leur a fournis l’intendance. Honoré n’a pas le loisir de choisir son cheval. Il doit prendre sans protester celui qu’on lui offre, un bai clair nommé Dormeur, « habitué à tramer les charrettes de maraîchers ».
    Il reçoit l’ordre d’embarquer le 6 août à minuit. Les sangles des chevaux sont trop courtes, il faut les traîner en gare par la bride. Les hussards attendent cinq heures sur le quai de la gare de Chambéry avant d’être embarqués à l’aube. Ils passent la journée du 7 août dans le wagon, mangeant des sardines et buvant du vin rouge. Quand ils débarquent enfin à Épinal, ils s’abattent, épuisés, sur une toile de tente, la selle pour oreiller, avant de gagner le quartier de Corcieux où déjà le canon gronde. Encore un départ sans fanfare.
    Seules les troupes d’active bien équipées ou les régiments de garnison des grandes villes ont participé à des parades organisées. Partout ailleurs, les hommes sont partis souvent à la clarté de la lune, sans pétards ni flambeaux, pour une destination inconnue.
    *
    Le défilé des régiments de choc a-t-il rassuré la population ? Les fusils Lebel, les canons de 75 et les mitrailleuses de Saint-Étienne montrent, à l’évidence, que l’armée est équipée. Est-elle commandée ?
    Les polytechniciens tiennent l’état-major. Ce que l’on appelle dans les milieux politiques la « coterie » de Joffre, officier du génie, spécialiste des chemins de fer, est constituée d’anciens élèves de l’École qui privilégient les armes savantes, artillerie et génie. Les colonels des régiments d’artillerie sont le plus souvent d’anciens polytechniciens, comme Robert Nivelle, commandant le 5 e régiment d’artillerie de campagne. Foch, professeur à l’École de guerre, mise en place dans les années 1876-1880, engage l’infanterie dans une nouvelle direction, célébrée à grand fracas en 1911 par le colonel de Grandmaison qui donne des conférences suivies d’articles nombreux dans la presse.
    Nourri d’officiers zélés, tous brevetés de l’École, surveillés par le major général Belin et par un général pesant un quintal, Berthelot, Joffre, si lourd lui-même qu’on ne trouve pas de cheval

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