Les Poilus (La France sacrifiée)
distance », des corps à corps à l’arme blanche, ou aux pelles de tranchée. Les pertes sont énormes. Les officiers se font tuer les premiers. Plus de liaisons entre les compagnies. Chacun combat dans son secteur, isolé des autres. Les canons français se trompent de cible, tirent sur les pantalons rouges qu’ils n’aperçoivent pas dans les lointains. Des mitrailleuses même arrosent, dans la pénombre brumeuse, les sections de leur camp. Le soldat Aertz, revenant en arrière pour obéir aux ordres de retraite donnés par le capitaine, aperçoit un jeune saint-cyrien au pied cassé. Il le charge sur son dos et marche pendant quatre kilomètres sans abandonner son équipement. Au poste de secours, il tombe exténué [25] .
Tous les régiments de la division de fer sont victimes de ces ordres d’attaque qui poussent les hommes vers l’ennemi sans préparation d’artillerie, contre des feux roulants meurtriers. Le 37 e de Troyes en fait la triste expérience. Son premier bataillon a déjà perdu la moitié de ses effectifs et la plupart de ses gradés de la mobilisation. Il attaque de Dombasle, au sud-est de Nancy, pour prendre une crête qui domine la Meurthe. Pour une fois l’artillerie française soutient le mouvement. Le feu violent des pièces de 75 du commandant Bossu matraque les lignes allemandes.
Au petit jour du 26 août, l’attaque est menée sans difficulté. Un capitaine du 60 e régiment surnommé « l’Electrique » s’est avancé jusqu’aux premières lignes d’infanterie avec un téléphone de campagne en état de marche. Il a pu guider le tir des artilleurs qui ont assommé d’obus avec précision les Allemands pris de court. Mais leur artillerie lourde réagit aussitôt, bombarde les positions occupées, isole les bataillons qui ne peuvent communiquer entre eux. L’un d’eux perd la moitié de ses effectifs devant une contre-attaque allemande. Un autre en a perdu les deux tiers.
Les Feldgrau ont aussi subi des pertes sévères. Ils se sont repliés sans pouvoir enterrer leurs morts. Les fusiliers d’une section d’infanterie, entièrement détruite, sont restés sur place comme la mort les a surpris : un genou en terre dans leur position de tireur. Des attelages d’artillerie à six chevaux tués, des conducteurs frappés d’éclats d’obus à leurs bancs.
Mais les pertes françaises étaient les plus angoissantes.
Les régiments d’active, élite de l’armée, composés de très jeunes pantalons rouges et commandés par les meilleurs officiers étaient tombés les premiers, sans aucun souci de protection des hommes devant le feu dévorant. On apprit, en relevant les cadavres, que le 237 e de Troyes avait chargé comme aux manœuvres, clairon sonnant. Il n’en restait que de rares rescapés.
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Force était de faire intervenir des renforts, pour fermer la porte de Nancy à l’invasion, comme l’exigeait Joffre quand Castelnau, découragé par la mort d’un de ses fils, songeait à faire de nouveau retraite. Les hommes des régiments de l’Ouest, après les Méridionaux et ceux de la division de fer, étaient à leur tour entrés dans la danse.
La brigade commandée par le général Guignabaudet venait de Parthenay en Vendée et de Poitiers. Les hommes avaient déjà éprouvé le feu, souvent dans des conditions insoutenables. Le colonel Benoît avait par exemple lancé, sans hésiter, ses Vendéens de vingt ans à l’assaut d’un village, Erbéviller. Il avait fait sonner la charge, drapeau au vent, déjà criblé de balles. Les mitrailleuses allemandes placées en tête des lignes avaient allongé les pantalons rouges, en pure perte. Le tir de barrage de l’artillerie allemande avait empêché les survivants de se relever. Ceux qui avaient par miracle échappé à cette meurtrière réception avaient, sur ordre, poursuivi leur attaque des lignes ennemies, poussés par un chef qui voulait obtenir des résultats après tant de morts. Ils furent fauchés de nouveau par les mitrailleuses.
Ceux qui arrivaient au contact de l’ennemi après de telles pertes étaient acharnés à vaincre. Dans le bois de Crévic, à l’est de Dombasle, les rescapés du 146 e d’infanterie de Melun sautaient dans les tranchées allemandes et se battaient au corps à corps dans des mêlées d’une violence inouïe. Après le combat, explique Colin, on trouvait des adversaires « aux faces grimaçantes » « enfilés tous deux sur leurs baïonnettes ». Les gens de
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