Les Poilus (La France sacrifiée)
les attendent, mais aussi leur expliquer « les causes de la guerre ». Il faut en outre les maintenir en bonne condition physique malgré l’hiver rigoureux, leur apprendre à tirer bas sur l’ennemi, et non pas trop haut comme leurs anciens, à se servir de leur pelle, instrument de sécurité, à se garer avec soin de la vue des avions.
On compte sur eux pour la relève, après les lourdes pertes de 1914. L’état-major cherche partout des hommes, vieux ou jeunes. Pourquoi ne pas engager les territoriaux dans le combat ? À quarante ans et plus, ils tiendraient aussi bien la tranchée que leurs cadets. Qu’on verse les plus jeunes d’entre eux dans l’infanterie, après les avoir instruits. Maunoury est de cet avis : il faut retirer des tranchées « les fractions les plus mordantes, qui seront chargées de mener les attaques ». Les territoriaux n’ont-ils pas « les mêmes sentiments de patriotisme et d’honneur » que les hommes de trente ans ? Qu’on les mette en première ligne, sans hésiter ! Leurs chefs recevront un « dressage » suffisant pour conduire les sections dans les tranchées. On peut les remplacer avantageusement, s’ils s’avèrent incapables, par des gradés choisis « parmi les bons sous-officiers et très bons caporaux ». La promotion doit se faire au feu, la formation en vingt jours au plus.
Pourquoi ne pas détacher des effectifs des tranchées les hommes les plus robustes, pour les entraîner de nouveau au combat offensif ? C’est l’avis de Berthelot. L’armée ne doit pas s’enliser. Que l’on mette les territoriaux en ligne, à condition d’en retirer immédiatement des bataillons disponibles pour l’instruction au combat et au service de campagne « toujours prêts à exécuter des attaques partielles ». Le commandement ne souhaite pas que l’armée hiverne et refasse ses plaies tranquillement dans les tranchées. Que les plus jeunes soient levés et engagés immédiatement dans la reprise des combats. Qu’ils apprennent à percer, comme les anciens de la Marne, des lignes devenues imprenables.
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Car les généraux français ne rêvent que d’une reprise d’une offensive, craignant que la passivité des tranchées ne détruise à la longue le ressort de la guerre. Les échecs répétés éprouvés dans les lignes n’affaiblissent pas leur détermination. Les poilus pourraient croire au retour au calme, dans le Nord, après l’échec des Allemands et leur retrait progressif.
L’état-major pense au contraire qu’il faut attaquer sans relâche un front qui commence à se dégarnir. À Nieuport, le 15 décembre, les fusiliers marins se font tuer comme à Dixmude. Le général Hély d’Oissel, qui les commande, rapporte que les survivants des deux compagnies sont rares. Tous les officiers sont morts. « Je ne peux demander un nouvel effort à la brigade », dit-il. Dans la Flandre inondée, les tranchées s’effondrent au moindre bombardement. Les mitrailleuses s’enrayent, les armes sont ensablées. Impossible de s’abriter dans le village de Saint-Georges, près de Furnes : pas de caves et les tranchées sont remplies d’eau.
En face, les Allemands disposent de tranchées munies de boucliers et d’abris très sûrs, blindés ou étayés par des traverses et des rails. Les attaques menées le long de l’Yser ont été très dures. On a dû évacuer pour maladie, pieds gelés et fluxions de poitrine de nombreux jeunes soldats qui ne supportaient pas le froid d’hiver. Les cavaliers de la 4 e division, peu habitués au port du sac et engagés dans les dunes de Nieuport, ont pataugé des heures dans les marécages avant de franchir les ponts, par petits paquets, arrosés par la mitraille ennemie. Impossible d’avancer sur ce terrain détrempé.
Même réaction des troupes du général de Cadoudal, chargées d’attaquer le 21 décembre dans la région de la chapelle de Notre-Dame-de-Lorette. Les sources des pentes inondent constamment les tranchées, qui, dans cette partie du front, regorgent d’eau. « Malgré les gradins de franchissement aménagés, il était extrêmement difficile aux fantassins d’en sortir. On était obligé de les soulever un à un pour les porter sur la plongée. »
Une plongée vers la mort subite : « Bon nombre d’entre eux, écrit Maistre, retombaient frappés dans les bras de leurs camarades, sans d’ailleurs que la perspective d’un sort semblable (Dieu soit loué, pense le
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