Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
Vom Netzwerk:
multipliant les approches du glacis ennemi, les engins de tranchée balançant à courte distance d’énormes charges. Le tour nouveau pris par la guerre exigeait un apprentissage du combat, auquel les officiers devaient se soumettre les premiers. Il n’était plus temps de réserver aux élèves des écoles de guerre les grades disponibles dans les bataillons. Les sous-officiers étaient presque tous des réservistes sortis du rang, de milieu urbain pour la plupart, et l’on commençait à nommer les instituteurs lieutenants et capitaines. L’armée avait d’abord besoin de capacités. Que les plus aptes soient gradés sur le tambour !
    L’hiver de 1914-1915 est, pour le poilu, celui du découragement, pas encore de la résignation comme l’explique Louis Mairet, tombé à Craonne en avril 1917 [42] . Dans les tranchées, on se pose alors des questions sur le sens de la guerre, sur sa durée, sur sa nécessité. Dans les rangs allemands comme dans ceux d’en face.
    Les hommes qui sculptent des pipes en bois ou des bijoux de cuivre dans les douilles d’obus, ceux qui attendent avec impatience le courrier de l’arrière qui parvient désormais plus régulièrement en ligne se posent encore des questions. Pour beaucoup, les Allemands souffrent davantage. Ils sont des soldats comme eux. Henry Pouverau, un survivant du régiment de Péguy, en tranchée près de Pernant sur la ligne de l’Aisne, est le témoin de fraternisations discrètes : « Ils lient conversation avec nous. Leurs sentinelles se profilent, inquiètes, sur la berge nue. » On craint un coup de feu égaré qui justifierait la fusillade, une salve des artilleurs. On se loue du silence des lignes au petit matin, quand on a redouté toute la nuit le froissement de l’herbe par quelque vache égarée, qui fait croire à la proximité d’une patrouille, ou l’attaque de la tranchée par surprise. On se réjouit du lever du soleil qui balaie les angoisses, chez l’ennemi comme chez nous [43] . On s’habitue à la présence de l’adversaire dans les secteurs où il est très proche. On ne se sert pas des fusils. On respecte les corvées d’eau ou de bois, les séjours aux tinettes. Pas de haine pour le Boche : elle s’émousse au front.
    Le capitaine Raimbault, militaire de carrière au régiment de Bourges, en tranchée dans la forêt d’Apremont, s’ennuie fermement. Au 1 er novembre 1914, jour de Toussaint triste, il regarde les moignons informes des arbres, et le soleil resplendissant dans la plaine. Nostalgie du temps de paix ? Il s’en défend. Faire la guerre est pour lui un devoir. Mais il n’a pas plus la haine de l’adversaire que ses soldats. Il constate que « les Boches qui sont en face n’ont qu’une idée, c’est qu’on les laisse tranquilles ».
    Pendant la nuit de Noël 1915, les gens de l’autre tranchée — des Bavarois catholiques — n’ont pas tiré un seul coup de fusil. « Pour un instant, commente ce bon chrétien, le Dieu des bonnes volontés était redevenu le maître de ce coin de terre. » Humanité de l’adversaire, soulignée par l’officier. Un « petit fourrier » est tombé au cours d’un assaut. Un prisonnier allemand se précipite pour le sauver. Il l’ausculte. Trop tard, il est mort. « Alors il enlève son calot, fait le signe de la croix et reste un instant en prière. » Comment s’entre-tuer entre catholiques ? Le pape n’a-t-il pas raison ? L’officier berrichon ne va pas jusque-là. Il est aux ordres de la patrie, tout comme le prisonnier bavarois. Il ira jusqu’au bout de son devoir. Mais il lui arrive de douter, ou d’espérer, comme le très catholique commandant de Ligonnès qui se laisse aller à rêver, au premier jour de 1915 : c’est peut-être l’année de la fin de la guerre.
    Le vague à l’âme de la période des fêtes est ponctué des ordres d’attaque incessants dans certains secteurs, qui déconcertent le soldat. Ainsi on se prépare pour de nouvelles tueries. Que ne reste-t-on tranquille dans les tranchées, à attendre que les Cosaques aient sabré les Feldgrau dans les plaines glacées de Russie ?
    Les généraux aussi sont quelquefois angoissés. Nommé brigadier, puis chargé de l’intérim de la 5 e division de cavalerie, Louis Allenou, officier de carrière, ancien colonel au 18 e dragons de Tarbes, plaint ses hommes de descendre aux tranchées de sable des Flandres. Ils ont perdu leur moral de cavaliers dans les attaques

Weitere Kostenlose Bücher