Les Poilus (La France sacrifiée)
effet d’utiliser des soldats que le séjour à la tranchée n’a pas ankylosés. Mieux encore : Maunoury recommande d’éviter tout contact entre les troupes d’assaut et les poilus des lignes. On doit leur construire des tranchées spéciales avant l’attaque « pour des raisons morales que vous connaissez aussi bien que moi », écrit-il à un général de corps d’armée le 16 décembre.
Maunoury proteste, le 9 décembre, contre ces attaques mal préparées qui causent de grands dommages dans la troupe. Le 12 novembre, devant les tranchées du plateau de Nouvron, dans l’Aisne, son infanterie s’est fait tuer devant des réseaux de barbelés non détruits. Le génie n’a pas réussi à faire sauter les réseaux avec ses charges de pétards. Le général demande à Joffre des nouvelles de ces « bombes à chariots » qu’il lui a promises. Il n’a rien vu venir.
Les soldats ont réussi à franchir l’obstacle, mais ils ont été décimés par les défenseurs des tranchées. Celles-ci « comportaient un toit qui ne recouvrait qu’une moitié de l’excavation ». Les fantassins n’ont pas pu sauter dans la tranchée, ils se sont fait tuer sur place. À l’évidence, le renseignement sur les défenses allemandes faisait défaut et la préparation d’artillerie était insuffisante. On ignorait l’existence d’ouvrages de flanquement pour les mitrailleuses [40] .
Maunoury n’est pas satisfait de l’état-major et il l’écrit. On aventure les soldats dans des attaques impossibles. Il ne croit pas aux chariots-bombes dont les hommes ignorent le maniement. C’est un moyen trop aléatoire pour baser une attaque. Il vaut mieux renoncer à perdre des hommes tant que l’artillerie n’est pas en mesure d’effectuer des destructions sérieuses. Les mitrailleuses de flanquement doivent être impérativement détruites avant l’assaut sous peine de lourdes pertes. Elles sont responsables de l’échec sanglant de l’attaque sur le plateau du Nouvron. Les photographies aériennes ne donnent que des indications vagues. Il faut repérer davantage le terrain, utiliser les longues perches chargées d’explosifs contre les barbelés, à condition que les sapeurs opèrent la mise en place dans le plus grand silence.
Les Allemands ont l’avantage de disposer d’abris nombreux qui les protègent jusqu’au moment de l’attaque. Ils ne laissent aux tranchées que des guetteurs. L’assaut doit les surprendre, sous peine d’échouer à coup sûr. Pas d’action lente, par compagnies successives, une attaque massive et parfaitement préparée. Franchet d’Esperey donne le même son de cloche : « Les offensives locales, écrit-il à Joffre, ne sont susceptibles d’être menées à bonne fin que si vous voulez bien me faire envoyer les moyens nécessaires pour rompre les réseaux de fils de fer barbelés que l’ennemi n’a cessé de perfectionner. » Comment satisfaire à ces demandes, alors que les engins manquent, et plus encore les sapeurs du génie, décimés les premiers dans les assauts. Ils sont, dit Foch, en nombre trop restreint à nos armées. « On est obligé de leur imposer des fatigues et des pertes qui risquent de les user rapidement. » Foch lui-même vient d’échouer devant la défense rapprochée de Carency, près de Vimy, dans le Pas-de-Calais : trop de barbelés intacts, de mitrailleuses révélées au dernier moment.
Même échec signalé à la II e armée : dans la nuit du 17 au 18 décembre, les Bretons du 118 e régiment d’infanterie de Quimper ont progressé dans la Somme jusqu’au cimetière de La Boisselle, mais n’ont même pas pu approcher du réseau allemand de barbelés. Les Brestois du 19 e ont dû reculer sous le feu violent des mitrailleuses portatives qui surgissaient de partout, en avant d’Orvilliers. Les Allemands ont incendié la paille d’une tranchée prise par les Bretons, les contraignant à une retraite précipitée. Les Normands de Caen, de Lisieux ont été entraînés dans le repli, bien qu’ils aient enlevé quelques tranchées. Les troupes, conclut le chef d’état-major Hellot, qui dresse un rapport sur cette affaire tragique, « ont attaqué avec la plus grande bravoure et ont supporté sans faiblir de lourdes pertes ». Il convient que « les progrès réalisés ne sont malheureusement pas en rapport avec les pertes. Nous avons constaté une fois de plus que lorsque nous réussissons à percer sur un point, nous nous
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