Les Poilus (La France sacrifiée)
général) fût capable de rebuter les suivants. » Pour progresser sous la grêle des balles, « les hommes enfonçaient jusqu’au genou dans un bourbier. Il leur était impossible de faire des bonds ou de se coucher. Plus de fusils : des culasses embourbées ». Il ne restait au combattant que la baïonnette pour affronter l’ennemi. « Les hommes que j’ai vus ce matin rentrer des tranchées après relève, ajoute Maistre, n’étaient que des paquets de boue. » Il signale que les fantassins, avant l’heure de l’attaque, étaient déjà épuisés et démoralisés pour « avoir passé deux jours et deux nuits dans des tranchées pleines d’eau ».
Les attaques françaises se terminent toujours dans les mêmes conditions : le 78 e régiment recruté à Guéret dans la Creuse se fait massacrer dans l’Argonne par des mitrailleuses de flanquement, le 21 décembre. Le même jour dans l’Oise, près de Nampcel, l’attaque de l’infanterie coloniale échoue : 600 hommes sont hors de combat sur 4 000. La plupart des officiers sont morts. Une seule compagnie a perdu 60 hommes sous l’effet des grenades à main, de mieux en mieux utilisées par les Allemands.
Le 59 e d’infanterie de Foix perdait beaucoup de monde sur le front de la Marne, devant Tahure. Le long de la ligne du front mouraient dans des combats de détail des soldats levés dans toutes les provinces. À Carency, dans le Pas-de-Calais, tomberaient à l’assaut 400 chasseurs de Grenoble et de Brienne « par un feu très meurtrier des mitrailleuses ennemies », expliquait Pétain, chef du 33 e corps d’armée. « Ces bataillons, rend compte le général de Maud’huy, ont été dépensés prématurément dans l’attaque. » Qui est responsable ? Où est l’enquête qui permettrait de démasquer les imprudents ? On n’en trouve pas trace aux archives.
On comprend pourquoi Joffre ne voulait tolérer le moindre symptôme de régression du moral au moment de Noël. Les coups de main effectués dans les secteurs de pointe étaient destinés à éprouver la résistance des lignes ennemies avant la grande offensive prévue pour février 1915, mais surtout à habituer le commandement et la troupe à la reprise de la guerre. Les tranchées avaient été pour les hommes un refuge qui les avait non seulement immobilisés mais démobilisés, au point qu’on songeait à les remplacer par des territoriaux, à les reprendre en main pour les lancer dans les assauts aux côtés des nouvelles classes instruites, car seuls les soldats jeunes et bien portants pouvaient franchir au pas de course les cent mètres meurtriers qui séparaient les parallèles de départ des lignes ennemies. Par la logique de la guerre, les nouvelles classes étaient ainsi promises en priorité à l’holocauste.
*
Mais les anciens, ceux qui avaient survécu à Charleroi, au Grand-Couronné, à Guise, à la Marne, à Dixmude, ceux qui croupissaient dans le sable mou des dunes, dans la glaise de l’Argonne, dans la craie détrempée de Champagne ? Ces poilus dont on regrettait l’immobilité trop longue et peut-être le découragement étaient-ils prêts à repartir à l’assaut, alors qu’ils n’avaient encore reçu le bénéfice d’aucune permission vers l’arrière ?
Était-il question de congés de guerre, alors qu’on accélérait les tours de présence en première ligne pour dégager des hommes destinés à l’instruction ? Il était en effet nécessaire de recycler le poilu, de l’entraîner à la guerre de forteresse. Le génie devait recruter des sapeurs, apprendre le maniement des armes nouvelles destinées à briser les redoutables réseaux de barbelés, à se familiariser avec les perches portemines, à lancer les charges par les canons à crochets, à véhiculer les brouettes blindées jusqu’en première ligne.
Les grenadiers devaient recevoir les nouveaux modèles de grenades, les mitrailleurs apprendre les finesses du tir sur les piquets de fils de fer, les patrouilleurs à ramper sans bruit vers les lignes ennemies pour repérer les ouvrages de flanquement, les officiers de la territoriale répartir les tâches pour creuser les tranchées les plus solides et les plus rationnelles, et multiplier les « places d’armes » permettant aux troupes d’assaut d’attendre l’heure H à l’abri des obus.
Les hommes devaient encore régler avec soin la synchronisation dans l’attaque avec l’artillerie de barrage, les sapeurs
Weitere Kostenlose Bücher