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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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seigneurs que je vais y
nommer. Quant à vous, vous n’aurez plus droit de vous écarter que de deux
lieues des séjours que je vous ai assignés. Et ne vous présentez plus devant
moi, car je n’aurai point plaisir à vous voir.
    Le coup était de taille et Mahaut ne
s’y attendait pas. Décidément, le Hutin avait bien changé.
    Les malheurs surviennent en série.
Si brusquement congédiée, Mahaut, sortant de l’appartement de la reine, tenait
encore une dragée. Elle la mit machinalement en bouche et y mordit avec tant de
violence qu’elle se fendit une dent.
    Pendant une semaine, Mahaut fut à
Conflans comme un tigre en cage. De son grand pas masculin, elle allait des
appartements d’habitation, qui dominaient la Seine, à la cour principale,
entourée de galeries d’où, par-dessus les frondaisons du bois de Vincennes, on
pouvait apercevoir les étendards du manoir royal. Sa rage ne connut plus de
bornes lorsque, le 15 mai, Louis X, mettant à exécution ses projets, nomma
gouverneur de l’Artois le maréchal de Champagne, Hugues de Conflans. Mahaut
vit, dans le choix de ce gouverneur, une volonté de dérision et comme un
suprême outrage.
    — Conflans !
Conflans ! répétait-elle, on m’enferme à Conflans, et l’on nomme Conflans
pour me voler mon bien.
    En même temps, sa dent cassée la
faisait cruellement souffrir ; un abcès s’était formé. Sans cesse, Mahaut
tordait la langue, ne pouvant se retenir d’aviver le mal.
    Elle déchargeait sa colère sur son
entourage ; elle avait giflé, pendant un office, maître Renier, chantre de
sa chapelle, pour une défaillance de voix. Jeannot le Follet, son nain, se
cachait dans les encoignures du plus loin qu’il l’apercevait. Elle s’emportait
contre Thierry d’Hirson qu’elle accusait, lui et son abusive famille, d’être la
cause de tous les ennuis ; elle reprochait même à sa fille Jeanne de
n’avoir pas su retenir son mari de courir au conclave.
    — Que nous importe un pape,
criait-elle, lorsqu’on est en train de nous dépouiller ! Ce n’est pas le
pape qui nous rendra l’Artois.
    Un matin elle apostropha Béatrice.
    — Et toi, tu ne peux rien
faire, non ? N’es-tu donc bonne qu’à me prendre mon argent, t’affubler de
robes et tourner de la croupe devant le premier chien coiffé ? As-tu
décidé de ne m’être d’aucune ressource ?
    — Comment, Madame… Les clous de
girofle que je vous ai portés ne vous ont-ils point apaisé la douleur ?
    — Il s’agit bien de ma
dent ! J’en ai une plus grosse à arracher, et tu en sais le nom. Ah !
quand il est question de philtres d’amour, tu t’agites, tu te donnes de la
peine, tu découvres des magiciennes ! Mais s’il me faut un vrai service…
    — Vous oubliez, Madame… Vous
oubliez bien vite comment j’ai fait enfumer messire de Nogaret… et ce que j’ai
risqué pour vous.
    — Je n’oublie pas, je n’oublie
pas. Mais Nogaret aujourd’hui me semble petit gibier…
    Si Mahaut ne reculait guère devant
l’idée du crime, il lui déplaisait d’avoir à l’exprimer précisément. Béatrice,
qui la connaissait bien, mettait quelque perfidie à l’y obliger. La regardant à
travers ses longs cils noirs, la demoiselle de parage de sa voix lente,
vaguement ironique, et qui traînait sur la fin des mots, répondit :
    — Vraiment, Madame ?…
Est-ce si haute mort que vous souhaitez ?
    — Et à quoi crois-tu donc que
je pense depuis une semaine, double sotte ? Que veux-tu qu’il me reste à
faire, sinon que de prier Dieu, de l’aube au soir et du soir au matin, pour que
Louis se rompe le col en tombant de cheval ou qu’il s’étouffe la gorge avec une
noix sèche ?
    — Il est peut-être de plus
rapides moyens, Madame…
    — Va donc me les trouver, tu
seras bien habile ! Oh ! de toute manière, ce roi n’est pas destiné à
faire de vieux os ; il n’est que de l’entendre tousser pour s’en
convaincre. Mais c’est maintenant qu’il me conviendrait qu’il crevât… Je ne
serai en paix que lorsque je l’aurai conduit à Saint-Denis.
    — Car ainsi, Monseigneur de
Poitiers deviendrait peut-être régent du royaume… et il vous rendrait l’Artois…
    — Et voilà ! Ma petite
Béatrice, tu me comprends à merveille ; mais tu comprends aussi que ce
n’est point une entreprise aisée. Ah ! celui qui me fournirait une bonne
recette de délivrance, je ne lui marchanderais pas l’or, je te l’assure.
    — La dame de

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