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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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la grossesse
de la reine non seulement des sages-femmes les plus réputées du royaume, mais
aussi des saints les plus compétents du paradis : saint Léon, saint
Norbert, sainte Colette, sainte Julienne, saint Druon, sainte Marguerite et
sainte Félicité, cette dernière parce qu’elle n’eut que des enfants mâles.
Chaque jour arrivaient de nouvelles reliques, tibias et prémolaires
s’accumulaient dans la chapelle royale.
    La perspective d’une progéniture
dont il était certain qu’elle fût sienne avait parachevé la transformation du
roi, et fait de lui un homme moyen, presque normal.
    Il était apparemment calme,
courtois, détendu, le jour où il convoqua la comtesse Mahaut. De Charenton à
Vincennes, la distance était courte. Pour conférer à l’entretien un caractère
d’intimité familiale, Louis reçut Mahaut dans l’appartement de Clémence.
Celle-ci brodait. Louis parla d’un ton conciliant.
    — Scellez pour la forme l’arbitrage
que j’ai rendu, ma cousine, puisqu’il semble que nous ne puissions obtenir la
paix qu’à ce prix. Et puis nous verrons ! Ces coutumes de Saint Louis,
après tout, ne sont pas si bien définies, et vous aurez toujours moyen de
reprendre d’une main ce que vous aurez feint de donner de l’autre. Imitez ce
que j’ai fait moi-même avec les Champenois, quand le comte de Champagne et le
sire de Saint-Phalle sont venus me réclamer leur charte. J’ai fait
ajouter : «  fors les cas qui d’ancienne coutume appartiennent au
souverain prince et à nul autre ».  Aussi, maintenant, quand un
cas apparaît comme litigieux, il relève toujours de la souveraineté royale.
    En même temps, il poussait vers la
comtesse, d’un geste amical, la coupe où, tout en parlant, il puisait des
dragées.
    Mahaut s’abstint de rappeler que
l’ingénieuse formule dont Louis à présent s’enorgueillissait était due à
Enguerrand de Marigny.
    — Voyez-vous, Sire mon cousin,
le fait ne se présente pas de même pour moi, répondit-elle, car je ne suis
point souverain prince.
    — Qu’importe, puisque j’exerce
la souveraineté au-dessus de vous ! S’il y a différend, il sera porté
devant moi, et je le trancherai en votre faveur.
    Mahaut prit une poignée de dragées
dans la coupe.
    — Fort bonnes, fort bonnes…
dit-elle la bouche pleine, s’efforçant de gagner du temps. Je ne suis pas bien
gourmande de sucreries, mais je dois dire qu’elles sont fort bonnes.
    — Ma bien-aimée Clémence sait
que j’aime en grignoter à toute heure, et elle veille à ce que sa chambre en
soit pourvue, dit Louis en se tournant vers la reine de l’air d’un époux qui
veut marquer qu’il est comblé.
    Clémence leva les yeux de dessus son
métier à broder, et rendit à Louis son sourire.
    — Alors, ma cousine, reprit-il,
vous allez sceller ?
    Mahaut acheva de broyer une amande
enrobée de sucre.
    — Eh bien ! non, Sire mon
cousin, je ne puis sceller. Car aujourd’hui nous avons en vous un fort bon roi
et je ne doute pas que vous agissiez selon les sentiments que vous me dites.
Mais vous ne durerez pas toujours, et moi moins longtemps encore. Il peut venir
après vous… le plus tard possible, Dieu le veuille !… des rois qui ne
jugeront pas la même équité. Je suis forcée de penser à mes héritiers et ne
puis les mettre à discrétion du pouvoir royal pour plus que nous ne lui devons.
    Si nuancée qu’en fût la forme, le
refus n’était pas moins catégorique. Louis, qui avait affirmé qu’il viendrait à
bout de la comtesse par sa diplomatie personnelle bien mieux que par grandes
audiences publiques, perdit rapidement patience ; sa vanité était en jeu.
Il commença d’arpenter la chambre, éleva le ton, frappa sur un meuble ;
mais, rencontrant le regard de Clémence, il s’arrêta, rougit, et s’efforça de
reprendre un maintien royal.
    Au jeu des arguments, Mahaut était
plus forte que lui.
    — Mettez-vous à ma place, mon
cousin, disait-elle. Vous allez avoir un héritier ; supporteriez-vous de
lui transmettre un pouvoir diminué ?
    — Eh bien ! justement,
Madame, je ne lui laisserai pas un pouvoir diminué, ni le souvenir qu’il eut un
père faible. À la parfin, c’est trop me tenir tête. Et puisque vous vous
obstinez à m’affronter, je place l’Artois sous ma main. C’est dit. Et vous
pouvez retrousser vos manches de robe, vous ne me faites point peur. Désormais,
votre comté sera gouverné en mon nom, par un de mes

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