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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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leur prière en
commun ; venons-en à cette pénible affaire, puisqu’il faut vivre, après
tout, et que le monde continue malgré ceux qui s’en vont. Vous voulez me parler
de mon neveu, bien sûr. Le bandit, le scélérat ! M’avoir fait cela, à moi,
qui l’ai comblé de bontés ! Le misérable garçon sans vergogne ! Me
fallait-il cette douleur de plus aujourd’hui… Je sais, je sais tout ; il
m’a fait parvenir un message ce matin. Vous voyez un homme bien éprouvé.
    Il se tenait devant eux, un peu
voûté, les yeux à terre, dans l’attitude du pire accablement.
    — Et lâche avec cela,
reprit-il. Lâche ; j’ai la honte de l’avouer, mes jeunes sires. Il n’a pas
osé affronter ma colère ; il est parti pour Sienne d’un seul trait. Il
doit être loin maintenant. Alors, mes amis, qu’allons-nous faire ?
    Il avait l’air de s’en remettre à
eux, presque de leur demander conseil.
    Les deux frères le regardaient, se
regardaient. Rien ne se passait comme ils l’avaient imaginé.
    Tolomei les observait à travers sa
paupière presque close. « C’est bon, se disait-il ; maintenant que je
les ai en main, ils ne sont plus dangereux ; il ne s’agit que de trouver
le moyen de les renvoyer chez eux sans rien leur avoir donné. »
    Il se redressa brusquement.
    — Mais je le déshérite !
Vous entendez, je le déshérite… Tu n’auras pas un sou de moi, petit
misérable ! cria-t-il en agitant la main dans la vague direction de
Sienne. Rien ! Jamais ! Je laisserai tout aux pauvres et aux
couvents !… Et s’il me retombe sous la main, je le livre à la justice du
roi. Hélas, hélas ! Le roi est mort !
    Les deux autres se disposaient
presque à le consoler.
    Tolomei les jugea assez préparés
pour qu’il pût leur prêcher la raison. Tous leurs reproches, tous leurs griefs,
il les acceptait, il les approuvait ; mieux même, il les devançait. Mais
maintenant, que faire ? À quoi servirait un procès, bien coûteux pour des
gens sans fortune, alors que le coupable était hors d’atteinte et aurait avant
six jours passé les frontières ? Était-ce cela qui réhabiliterait leur
sœur ? Le scandale ne nuirait qu’à eux-mêmes. Tolomei allait se dévouer et
s’efforcer de réparer le mal commis ; il avait de hautes et puissantes
relations ; il était ami de Monseigneur de Valois, de Monseigneur
d’Artois, de messire de Bouville… On trouverait à Marie un lieu où elle
mettrait au jour son péché, dans le plus grand secret, et l’on verrait ensuite
à lui donner un état. Un couvent, pour un temps, pourrait peut-être abriter son
repentir. Qu’on fît confiance à Tolomei ! N’avait-il pas prouvé aux
Cressay qu’il était homme de cour en faisant reporter cette créance de trois
cents livres qu’il avait sur eux…
    — Si j’avais voulu, votre
château serait à moi depuis deux ans. L’ai-je voulu ? Non. Vous voyez
bien.
    Les deux frères, déjà fort ébranlés,
comprirent aisément la menace que, d’un ton si paterne, le banquier faisait
peser sur eux.
    — Entendez-moi ; je ne
vous réclame rien, ajouta-t-il.
    Mais dans une affaire de justice,
forcément, il serait obligé de faire état de ses comptes, et les juges
pourraient s’étonner que les Cressay eussent accepté tant de dons de la part de
Guccio.
    Allons ! Ils étaient de braves
jeunes gens ; ils allaient se diriger sur une tranquille auberge, pour y
passer la nuit après s’être bien restaurés, et sans se soucier de régler la
dépense. Ils attendraient là que Tolomei se soit employé pour eux ; il
pensait, dès le lendemain, leur proposer des mesures apaisantes pour leur
bonheur. Avant tout, éviter le scandale…
    Pierre et Jean de Cressay se
rendirent à ses raisons et même, en prenant congé, lui étreignirent les mains
avec quelque effusion.
    Après leur départ, Tolomei se laissa
tomber sur une chaise. Il était las, et soufflait dans ses grosses joues
sombres.
    « Et maintenant, pourvu que le
roi meure ! » se dit-il.
    Car lorsqu’il avait quitté
Vincennes, Louis X respirait encore ; mais nul n’estimait qu’il eût beaucoup
d’heures devant lui.
     

XII

QUI SERA RÉGENT ?
    Louis X Hutin expira dans la
nuit du 4 au 5 juin 1316, un peu après minuit.
    Pour la première fois, depuis trois
cent vingt-neuf ans, un roi de France mourait sans laisser un héritier mâle
auquel la couronne pût être dévolue.
    Monseigneur de Valois, d’ordinaire
si empressé à

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